Climat : CO2, mon amour ? Oui, mais pas trop !
Des membres d'une association écologiste déguisés en molécules de CO2 manifestent à Berlin. Photo archive AFP
Cela n'était pas arrivé depuis plus de 2,5 millions d'années ! Le jeudi 9 mai, le seuil symbolique de 400 ppm (parties par millions) de dioxyde de carbone atmosphérique a été atteint dans l'atmosphère de notre planète. Le changement climatique de la Terre, généré par les activités humaines, poursuit son cours, inexorablement... Ca veut dire quoi, au juste ? Avec quelles conséquences ? Et quelles solutions? Le point.
400 ppm : kesaco ?
Le ppm, ou partie par million, est l'unité de mesure du dioxyde de carbone, CO2. Ce chiffre correspond à la mesure de concentration de CO2 dans l'atmosphère et indique qu'on a trouvé en moyenne 400 molécules de CO2 pour chaque million de molécules de tous les constituants présents dans l'air. Ce relevé a été effectué à l'observatoire d'Hawaï, sur les flancs du volcan Mauna Loa (photo ci-contre) à 3.400 mètres d'altitude au milieu du Pacifique, où toutes les mesures de l'ère moderne sont faites depuis 1958.
400 ppm : un seuil emblématique du réchauffement climatique
Avec le CO2, c'est "je t'aime moi non plus". Indispensable à la vie car il participe au mécanisme de la photosynthèse, le CO2 est le principal gaz à effet de serre (GES) : il contribue à 80 % à l'effet de serre additionnel produit par les activités humaines, responsable du réchauffement climatique. La valeur de 400 ppm relevée à Mauna Loa est symbolique: elle montre que la concentration en dioxyde de carbone dans l'atmosphère de la planète, qui a continuellement augmenté ces soixantes dernières années, vient de franchir un seuil historique. Jusqu'à la révolution industrielle, en 1850, et le recours massif aux énergies fossiles, le CO2 n'avait jamais dépassé 300 ppm. L’hémisphère sud est épargné pour le moment, mais seulement jusqu’à l’année prochaine selon les spécialistes. Cette différence serait liée au fait que les gaz à effet de serre sont majoritairement émis au nord de l’équateur.
Retour au temps des australophithèques, à l'ère du Pliocène ?
Pour retrouver de tels niveaux de gaz carbonique, il faut remonter à l'ère du Pliocène, il y a de cela 2,6 à 5,3 millions d'années. On n'était pas né. Les créatures les plus proches du genre humain qui arpentaient alors la surface de la Terre étaient les australopithèques (photo reconstitution, musée de Houston, ci-contre). A l'époque, le climat était plus chaud qu'aujourd'hui : "Les températures moyennes globales étaient de trois à quatre degrés supérieures à celles d'aujourd'hui et d'environ dix degrés aux pôles ", précise la Scripps Institution of Oceanography (université de Californie à San Diego), qui publie quotidiennement les mesures de concentrations de CO2 de Mauna Loa. Et le niveau de la mer était "supérieur de 5 m à 40 m au niveau actuel".
"Il va y avoir une réponse inéluctable du climat. On ne peut pas aujourd'hui revenir en arrière."
Alors, on y revient au climat du Pliocène ? Ou pas ? Le climat alors était stabilisé. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. On est plutôt dans une "phase d'ajustement", où le climat reçoit "une injection brutale de CO2 dans l'atmosphère", analyse pour "Terra Eco" Valérie Masson-Demotte, paléoclimatologue et directrice de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement. Si on n'est pas embarqué dans un scénario digne du Pliocène, la scientifique rajoute : "Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il va y avoir une réponse inéluctable du climat. On ne peut pas aujourd'hui revenir en arrière."
Alors, quelles conséquences pour la vie sur Terre ?
Le CO2 dans l'atmosphère est un modulateur du climat. La hausse de son taux de concentration, pour les climatologues, est un des élements perturbateurs du climat et responsable du réchauffement. Au rythme actuel des émissions de dioxyde de carbone, on peut oublier l'objectif fixé par la communauté internationale de limiter, à l'horizon de la fin du siècle, le réchauffement à deux degrés au-dessus du niveau préindustriel : il est désormais quasi intenable. Quant au seuil de stabilité climatique à très long terme, situé à 350 ppm par certains climatologues, il est déjà loin derrière nous : il a été franchi peu avant 1990. Selon les derniers travaux du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), si on table sur une stabilisation du CO2 entre 400 ppm et 440 ppm, on irait sur le long terme, vers une augmentation moyenne de la température terrestre de 2,4°C à 2,8°C.
Donc, chaud devant. Oui, mais comment ?
Difficile à croire avec ce printemps particulièrement pourri et frais en France, mais le réchauffement du climat, pour l'Organisation météorologique mondiale (OMM), on y est déjà. Le 2 mai, l'OMM qui rendait public son bilan climatologique pour 2012, plaçait l'année écoulée au neuvième rang des années les plus chaudes observées depuis la fin du XIXe siècle. La concentration atmosphérique de CO2 n'excédait pas alors les 300 ppm, un niveau qui n'a jamais été dépassé au cours du dernier million d'années écoulé. L'OMM note aussi l'abondance et l'intensité de phénomènes climatiques extrêmes: sécheresses, comme celle qui a frappé récemment l'Amérique du Nord, inondations en Inde,ou en Russie, cyclones tropicaux, ouragans, comme Sandy, qui, à l'automne 2012, a ravagé New York et la Côte est des Etats-Unis, vagues de froid hors normes, comme ce printemps dans une partie de l'Europe et en Russie. "La variabilité naturelle du climat a toujours donné lieu à ces extrêmes, mais les caractéristiques physiques de ces phénomènes météorologiques et climatiques résultent de plus en plus du changement climatique" analyse Michel Jarraud, secrétaire général de l'OMM.
Mais que risque-t-on au juste?
Dans nos pays développpés de l'hémisphère nord, les variations climatiques se traduisent surtout par des désagréments individuels, liés aux aléas de la météo commentés avec passion chaque jour à la machine à café. Mais le vrai risque de l'altération climatique, c'est une toute autre affaire. La question climatique pèse - et pèsera, plus encore, demain - sur la dégradation économique mondiale et les conditions de vie d'une grande partie de la population mondiale menacée d'exode. Les événements climatiques et météorologiques extrêmes constituent la quasi-totalité (98 %) des catastrophes naturelles qui, en 2012, ont conduit au déplacement de 32,4 millions de personnes dans 82 pays, d'après le rapport « Global Estimates 2010 », publié, lundi 13 mai, par l'International Displacement Monitoring Centre (IDMC) et le Norwegian Refugee Council (NRC). L'Asie a été la plus affectée (22,2 millions de déplacés), devant l'Afrique (8,2 millions) et le continent américain (1,8 million). L'Inde est particulièrement touchée : en 2012, elle a concentré plus du quart de ces déplacements de population, suite à une mousson particulièrement dévastatrice (photo ci-dessus). Humainement et socialement, l'augmentation massive des "déplacés climatiques" ou "écoréfugiés", est une des conséquences les plus graves et les plus coûteuses du réchauffement.
La hausse du niveau des océans et leur acidification
En raison du réchauffement climatique, la dilatation thermique des océans conduirait à une élévation du niveau moyen des océans comprise entre 50 cm et 1,7 m. Et ce, sans tenir compte de la fonte des glaciers. La réduction des calottes glaciaires de l'Antarctique et du Groenland est l'une des causes majeures d'élévation des mers et, pour la première fois, une étude publiée le vendredi 17 mai par la revue Science, indique qu'un tiers de l'élévation des mers est bien dû à la fonte des glaciers d'altitude. Un autre effet de l'augmentation du CO2 est qu'il favorise l'acidification des océans. Le 6 mai, lors de la Conférence internationale sur l'acidification des océans réunie à Bergen (sud-ouest de la Norvège), les scientiques ont tiré la sonnette d'alarme sur l'acidification rapide de l'océan Arctique due aux émissions de CO2, un phénomène lourd de menaces pour le fragile écosystème de la région. L'acidité des eaux de la planète a augmenté de 30% depuis le début de l'ère industrielle, atteignant un niveau inégalé depuis au moins 55 millions d'années, ont rappelé les intervenants. Quels risques encourent les espèces animales halieutiques ? L'acidification empêche principalement la calcification, ce qui met en danger les coraux, les mollusques, les poissons qui s'en nourrissent et au bout de la chaîne, les activités économiques humaines liées à la pêche.
"Des décennies de développement réduites à néant"
Enfin, les conséquences du réchauffement climatiques sont aussi économiques. Le 18 novembre 2012, la Banque mondiale a publié un rapport alarmant, commandé par l'Institut de recherche sur l'impact du changement climatique de Potsdam (Allemagne), selon lequel, vu le niveau actuel d'émissions de C02 le thermomètre mondial pourrait en réalité grimper de 4°C "au cours du siècle" et "dès 2060" si les gouvernements mondiaux n'agissent pas d'urgence. "Ce monde serait tellement différent de celui dans lequel nous vivons qu'il est difficile de le décrire", a prévenu à Washington le président de l'institution, Jim Yong Kim, ajoutant que des "décennies de développement" pourraient être réduites à néant. Un autre rapport présenté en septembre de la même année aux Etats-Unis, à la veille de l'ouverture de la session de l'ONU, par le DARA and Climate Vulnerable Forum, constatait lui que le changement climatique ralentissait actuellement de 1,6% la production économique mondiale et devrait conduire à un doublement des coûts mondiaux dans les vingt prochaines années. Deux alarmes émanant d'organismes éminents qui n'ont rencontré que peu d'écho...
La lutte contre le réchauffement climatique est bien la seule option possible
Unanimes à alerter sur la nécessité de réduire nos émissions de gaz à effet de serrre pour prévenir le changement climatique, le Giec et la communauté scientifique compétente, qui ont dû affronter le lobby des climatosceptiques, ont du mal à se faire entendre après des responsables politiques. Force est de constater qu'ils prêchent dans le désert depuis de nombreuses années en prévenant des dangers qu'il y a pour la planète à ignorer la science et à rester sur le modèle de développement économique et industriel né au XIXème siècle, basé sur l'exploitation illimitée de ressources en énergie fossile limitées, sur une planète tout aussi limitée. Et que leurs prévisions les plus pessimistes concernant l'évolution du climat, non seulement s'avèrent exactes, mais sont constamment devancées par la réalité... Le Giec définit actuellement les grandes lignes du Cinquième Rapport d’Evaluation du climat (AR5), qui paraîtra en 2014. Sera-t-il enfin entendu ?
Paroles, paroles...
Côté politique, ça bouge un peu. Deux personnalités européennes de poids viennent de rallier le clan des lanceurs d'alerte climatiques, auxquel se sont déjà joints Barack Obama et François Hollande. Angela Merkel, la chancelière allemande, a déclaré récemment : "Attendre, ce n'est pas une option. Ne rien faire signifie que le coût du réchauffement sera beaucoup plus élevé." Et le prince Charles, héritier de la Couronne d'Angleterre et écolo de la première heure, avertit : "Le risque est si important que l'on ne peut pas attendre jusqu'à ce que l'on soit absolument certain que le patient est en train de mourir". Angela et "Charlie" en resteront-ils au stade du discours, où seront-ils entendus ?
Sans CO2, pas de vie possible sur Terre. Trop de CO2 pourrait bien nous y rendre la vie sinon impossible, du moins difficile.
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►PLUS D'INFO
- Le site de l'Organisation météorologique mondiale : cliquer ICI
- Le rapport de l'OMM sur climat en 2012: cliquer ICI
- Le site du Giec : cliquer ICI
- L'intégralité du rapport de la Banque mondiale "Turn down the heat. Why a 4° warmer world must be avoided" : cliquer ICI