Le livre vert du dimanche. A lire de toute urgence : "L'arbre-monde", de Richard Powers
La forêt de séquoias géants de Mariposa, dans le parc naturel de Yosemite en Californie, abrite 500 de ces arbres dont certains ont commencé à pousser à l'époque de Jésus Christ, il y a 2.000 ans. Photo archives AFP
Ce livre va changer votre vie. "L'arbre-monde" de Richard Powers, sorti en 2018 au Cherche Midi est paru en livre de poche, dans la collection 10/18, en septembre 2019. Après l'avoir lu (dévoré !),vous ne regarderez plus jamais l'arbre qui pousse dans votre jardin de la même façon. Et vous ne vous promènerez plus jamais en forêt sans vous demander à quoi rêvent les arbres autour de vous. Sont-ils heureux ou inquiets, malades ou en bonne santé ? Combien de siècles ont-ils vécus et de quoi parlent-ils entre eux ?
Avec ses premiers chapitres construits autour de ses neuf personnages principaux comme autant de nouvelles indépendantes, le début du roman est déroutant. Peu à peu, Powers nous invite à pénétrer l'univers de ces vies qui, à des années lumières les unes des autres, semblent ne devoir jamais se croiser, et vont finir par s'imbriquer l'une dans l'autre, à la manière d'un gigantesque puzzle.
Il y a Nicholas Hoel, un artiste dépressif, dont la famille, avait réussi à maintenir en vie l’un des derniers châtaigniers d’Amérique, espèce éradiquée au début du XXe siècle suite à une épidémie cryptogamique ; Neelay Mehta, fils d’immigrants indiens devenu paraplégique suite à la chute d’un arbre, qui devient un génie du numérique et des jeux vidéo ; Douglas Pavlicek, vétéran de guerre et de l’expérience de Stanford (une étude de psychologie sociale menée en 1971 sur les effets de la situation carcérale) ; Olivia Vandergriff, étudiante revenue d’entre les morts après avoir survécu à une électrocution, qui pense désormais communiquer directement avec la nature ; Mimi Ma, la surdouée, fille d'un immigrant chinois, qui a grandi avec ses deux soeurs à l'ombre des branches du mûrier du jardin, l'arbre à soie ; Adam Appich, tout aussi brillant et atteint du syndrome d'Asperger, membre d'une vaste fratrie où chaque frère et soeur s'est vu attaché un arbre différent à sa naissance ; Ray Brinkman et Dorothy Cazaly, un couple qui s'aime, se trouve, se déchire, se sépare et se retrouve, pour le pire et surtout le meilleur... Et enfin, bien sûr, il y a l'âme du roman, Patricia Westford, sourde, garde-forestière et dendrologiste, auteure d’une thèse révolutionnaire et rejetée par ses pairs scientifiques (et misogynes), sur la manière dont les végétaux communiquent.
L'homme ne se sauvera pas sans se préoccuper de ses forêts
Autour de la botaniste, qui a passé des années seule dans la forêt, avant de voir ses théories reconnues, s'entrelacent les destinées des huit autres personnages de Powers, un peu à la manière du système racinaire des arbres.
Terriblement attachants, tous portent en eux, selon les mots de Montaigne, "la forme entière de l'humaine condition", avec ses (très) bons et ses (très) mauvais côtés. Ils vont, peu à peu, converger vers la Californie, où un arbre millénaire, un séquoia, est menacé de destruction. Ils finiront par se retrouver, quitte à en mourir s'il le faut, autour d’actions inspirées il y a 30 ans, par le «Redwood Summer» de 1990, événement central des «Timber Wars» qui virent s’opposer éco-guerriers et exploitants forestiers d’Amérique du Nord à un moment charnière de la transformation de la sylviculture en exploitation intensive, cette «économie suicidaire».
Au fil ce récit choral aux dimensions symphoniques, que Powers, l'un des auteurs américains les plus doués de sa génération, explore le drame écologique et notre égarement dans un monde virtuel, en construisant un parallèle à méditer : plus nous saccageons la nature qui nous environne et plus nous nous réfugions dans un univers numérique puissant et complexe, au risque de nous y perdre...
Ceux qui ont aimé "La Vie secrète des arbres", le best-seller mondial de l’ingénieur forestier allemand Peter Wohlleben, ne seront pas totalement surpris. Mais ils iront encore plus loin dans leur connaissance du fonctionnement de la nature et des forêts, ces êtres vivants nés des millions d'années avant l'homme, qui n'ont jamais eu besoin de lui pour pousser et s’organiser, par le biais de vastes réseaux de communication. Alors même que l'existence des hommes, elle, dépend entièrement des arbres donneurs de vie que, pourtant, ils exploitent, abattent et et détruisent tout autour de la planète. Sans (trop d') état d'âme jusqu'à présent.
Le message final de Powers étant, vous l'avez compris, que l’homme ne se sauvera pas sans se préoccuper de ses forêts.
►A LIRE
- L'arbre-monde, de Richard Powers, collection 10/18, 9,90 euros.
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