"Paysans semeurs et éleveurs" : le bonheur est dans la graine
Lycia Walter, photographe, et Laurence Dessimoulie, co-auteures de "Paysans semeurs et éleveurs"publié par les Editions Sud Ouest, lors de la présentation du livre à Darwin, Bordeaux, le lundi 18 septembre 2017. Photo Ma Planète
Les éditions "Sud Ouest" publient un livre de rencontres vitaminé avec 15 éleveurs de la région qui, de la vache à l’abeille, utilisent des semences paysannes. De quoi réjouir nos papilles en faisant le bonheur de la biodiversité
Prégnante, la question empoisonne notre quotidien : « Qu’y a-t-il dans nos assiettes ? Non, mais vraiment ? ». A bien y réfléchir, elle va loin. Pour y répondre, inéluctablement, il faut remonter jusqu’à la graine, la semence. Bref, à l’origine de toute l’histoire de notre alimentation. Et de la vie sur Terre.
« Jusqu’où nos corps vont-ils dire non ? »
Nourrie des différents scandales alimentaires qui défraient régulièrement la chronique, de la« vache folle » aux lasagnes à la viande de cheval ou aux oeufs contaminés au fipronil de l’été dernier, en passant par la maltraitance animale dans les abattoirs dénoncée par L 214 et les controverses autour des OGM et des pesticides, elle en rejoint une autre : « Jusqu’où nos corps vont-ils dire non ? » C’est la question fondamentale qui fait la punchline de « Paysans, semeurs et éleveurs », le livre passionné et passionnant de Laurence Dessimoulie publié cet automne aux éditions « Sud Ouest ».
L’inquiétante montée du règne du « sans »
Intolérance au lactose et au gluten en Occident, allergie au tofu (fromage de soja) en Asie, refus de consommer de la viande… La cuisinière indépendante éco-responsable qui cuisine depuis 2004 en Gironde, dans le Médoc, pour des collectivités, s'inquiète de la montée de l’exclusion et du règne du « sans », relayée selon elle par « une sphère communicante performante », dans le domaine de l'alimentation que devrait gouverner avant tout la quête du bien-être, du plaisir et de la santé. De celui qui nourrit à celui qui est nourri. « Et si ce n’était pas le gluten qui était en cause dans l’intolérance du corps, mais plutôt ce que l’agro-industrie en a fait ? » interroge-t-elle. Et si c’était justement ça, la bonne question ?
En 50 ans, les trois-quarts de la biodiversité cultivée ont disparu de nos champs
De la graine semée qui nourrit les hommes à celle qui nourrit les animaux d'élevage,« l’industrie de l’agriculture et le brevetage du vivant par les multinationales, tuent le naturel des pratiques agricoles et nourricières ancestrales de l’humanité, entraînant la perte de la diversité », pointe Laurence Dessimoulie. En 50 ans, les trois-quarts de la biodiversité cultivée ont ainsi disparu de nos champs, au profit de quelques variétés industrielles sous régime de propriétés intellectuelles (hybrides F1, OGM…). A cette perte inestimable pour le vivant qui en paie le prix fort sur la planète, s’ajoute celle de savoir-faire millénaires paysans pour le choix des graines, des plantes et des pratiques les mieux adaptées à la nature du sol et au climat de la terre cultivée.
"La semence, si petite, renferme le potentiel de vie des végétaux". Laurence Dessimoulie
Or, la semence est un enjeu essentiel pour la fertilité des sols et la qualité nutritionnelle de la nourriture, rappelle Laurence Dessimoulie. « En appauvrissant, standardisant, tronquant et formatant son patrimoine de vie », on confisque le vivant alors qu’il est un patrimoine universel, tout en conduisant l’alimentation et le devenir des êtres humains sur le « dangereux chemin de la dévitalisation ». Un constat qui l’a incitée à partir, avec la photographe girondine Lycia Walter, à la rencontre de quinze familles de paysans éleveurs-semeurs en Nouvelle-Aquitaine. Car la bonne nouvelle du livre, c’est que la solution existe : proches du Réseau semences paysanne (1), de l’éleveur de bovin à l’apiculteur, tous refusent le diktat de l’agro-industrie et ressèment leurs propres graines, bio, pour leurs plantes fourragères.
Des champs à l’assiette, le gai travail de la terre
Première leçon réjouissante d’une aventure humaine collective qui suit les traces porteuses d’espoir du film « Demain », réalisé en 2015 par l'actrice Mélanie Laurent et Cyril Dion, cofondateur avec Pierre Rabhi du mouvement Colibris : de la Dordogne à la Creuse, la Vienne et la Haute-Vienne, en passant par la Gironde et le Lot-et-Garonne, à l’heure de la crise du monde paysan, les univers mis en lumière par la plume et l’oeil des deux co-auteures nous disent eux le bonheur et la gaieté qu’il y a à travailler la terre et à élever des animaux. En harmonie avec la nature et de manière autonome, en se réappropriant les décisions et la chaîne nourricière toute entière, des champs à l’assiette.
Autre (re)découverte : ces éleveurs, « vrais gens dans de vraies fermes » et « héros » de nos champs », comme le dit si joliment Lycia Walter, montrent qu’un rapport passionné et respectueux entre l’homme et l’animal est toujours possible, même au XXIe siècle. De quoi redonner toute sa légitimité à une consommation de viande responsable...
Quarante recettes gourmandes
Enfin, « les produits de leurs fermes sont aussi bien plus sains et savoureux que ceux dont l’industrie agro-alimentaire inonde les circuits de la grande distribution », nous apprend Laurence Dessimoulie, la cuisinière. On s’en doutait un peu, mais quelle meilleure illustration que la quarantaine de recettes succulentes confiées par les paysans eux-mêmes, pour cuisiner au mieux le fruit de leur travail ? Simples et accessibles, elles mettent l’eau à la bouche…
Moralité : pour vivre en bonne santé, en préservant nos paysages et notre environnement, ne nous trompons pas de cible. Plutôt qu’éliminer tel ou tel aliment, sachons choisir notre nourriture… et restons gourmands !
(1) Né en Dordogne en 2004, le Réseau semences paysannes (RSP), animé notamment par Patrick de Kochko, réunit près de 90 organisations impliquées aux côtés de chercheurs de l’Inra pour la promotion et la défense de la biodiversité cultivée et des savoir-faire associés.
►A LIRE
- « Paysans semeurs et éleveurs. Semences paysannes dans les champs et dans l’assiette ». Laurence Dessimoulie, photographies de Lycia Walter. Editions Sud Ouest, 20 euros.
►LIRE AUSSI
- Les articles de Ma Planète sur l'agriculture bio : cliquer ICI