Sale temps pour les écolos. La proposition de loi déposée par la députée EELV Laurence Abeille sur les ondes électromagnétiques, qui devait être examinée par l'Assemblée nationale jeudi 31 janvier, n'aura donc même pas fait l'objet d'un débat : les députés socialistes ont carrément voté une motion de renvoi en commission des affaires économiques.
Dans les rangs des associations environnementales, la déception et l'incompréhension sont de taille, avec le sentiment d'avoir, une fois de plus, beaucoup bossé pour rien. Chez les élus écologistes de même. En France, dès lors qu'il s'agit de problématiques mêlant écologie, environnement, technologies et santé, force est de reconnaître que le débat démocratique a souvent tendance à tourner court. Quand il a la chance de voir le jour, ce qui n'est pas toujours le cas...
Une "niche parlementaire" par an
Déjà largement revu en Commission des affaires économiques au point d'avoir été vidé de sa substance, selon les écolos, le texte de Laurence Abeille (photo ci-contre) est donc abandonné : il n'y aura pas de loi du tout. Techniquement, la procédure du renvoi en Commission équivaut en effet dans le cas présent à un abandon : bien que dans la majorité gouvernementale, les écologistes ne disposent, comme tous les groupes parlementaires, que d'une "niche parlementaire" par an pour déposer leurs propositions de loi... A moins qu'une autre loi ne soit déposée par les socialistes sur le même sujet, exit la loi sur les ondes électromagnétiques. Au moins pour un an.
Une victoire de "l'économie numérique" sur le principe de précaution et la protection de la santé ?
Jeudi dernier, les députés écologistes espéraient encore pouvoir débattre en séance plénière du texte et réintroduire, par des amendements, des dispositions importantes, comme le principe d'un seuil d'exposition "aussi bas que raisonnablement possible". Et, a minima, doter la France de la première loi permettant d'encadrer l'installation des antennes-relais. L'issue semblait prévisible: à la veille de la présentation du texte, la ministre déléguée à l'économie numérique, Fleur Pellerin, avait mis en garde contre des "peurs irrationnelles" en estimant que la nocivité des ondes "n'est pas scientifiquement étayée". Résumer l'affaire comme la victoire de " l'économie numérique" sur le principe écologique de précaution et la santé humaine serait pourtant bien caricatural. Le texte de loi n'avait pas plus vocation à empêcher la téléphonie mobile et son développement qu'à supprimer le WiFi, mais à prendre des mesures afin de protéger des populations à risque (comme les enfants) et de permettre aux personnes électrohypersensibles de disposer d'espaces de vie sur le territoire en "zones blanches" (hors ondes électromagnétiques articifielles), tout en reconnaissant le syndrome dont elles sont victimes.
Les élus écolos vent debout
La députée Laurence Abeille se dit "atterrée et scandalisée" et dénonce une attitude de la part du gouvernement "totalement incohérente". "Le gouvernement signifie qu'il ne veut pas légiférer dans ce domaine, malgré les mises en garde de la communauté scientifique sur la possible nocivité des ondes sur la santé", réagit-elle. Pour elle, le contenu de la loi était « pourtant assez modéré ». En outre, « Le sujet figurait en toutes lettres dans l'accord pour les législatives signé avec le PS », s'étonne-t-elle. Elle estime que cette proposition a été « bloquée » par les ministères de l'Éducation nationale, de la Santé et de l'Économie numérique. Quant à François de Rugy, le coprésident du groupe EELV à l'Assemblée nationale, il a qualifié ce renvoi d'"inadmissible". "A quoi bon réserver des espaces aux groupes parlementaires ?", s'est interrogé pour sa part le député de Paris, Denis Baupin, pragmatique.
"Nous voulons un débat démocratique !", clament les associations
Les associations qui ont travaillé avec les élus à l'élaboration de la proposition de loi sont très amères. Robin des Toits évoque sur son site un "enterrement de première classe." La Coordination nationale des collectifs stop antennes dénonce l'absence de débat : "Le plus dramatique pour notre pays c'est que le gouvernement refuse le débat démocratique "comme dans les régimes autoritaires". Par cette attitude, il renforce l'idée de la toute puissance des lobbys des opérateurs, et alimente lui même la crainte, par cette non-transparence, et la perte de confiance dans nos institutions ! ", réagit son représentant national, le Bordelais Stéphane Sanchez. "Nous voulons un débat démocratique et nous n'en serons que plus combatifs pour l'obtenir !", résume-t-il.
Principe de précaution : l'Anses, l'OMS et l'association des pédiatres américains sur la même longueur d'ondes
En 2009, l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'Anses, avait rendu un avis alertant sur les dangers potentiels des ondes électromagnétiques. L'OMS a également classé ces dernières comme potentiellement cancérigènes. Tout récemment, aux Etats-Unis, l'Académie américaine de pédiatrie (AAP) qui regroupe quelque 60.000 praticiens, a accordé son soutien à une proposition de loi déposée en août 2012 par Dennis Kucinich (photo ci-dessus), membre du Congrès américain, intitulée "Le téléphone portable, le droit de savoir". La proposition H.R. 6358 propose des étiquettes d'avertissement sur les téléphones portables, de créer un nouveau programme national de recherche sur les téléphones portables et la santé et exige de l'Agence de Protection Environnementale (EPA) de mettre à jour le taux d'Absorption spécifique (DAS), aujourd'hui obsolète.
Protéger les populations les plus vulnérables, enfants et femmes enceintes
Le président de l'Académie américaine de pédiatrie (AAP), le Dr Thomas K Mc Inerny affirme ainsi dans une lettre adressée à Dennis Kucinich : "L'AAP plaide en faveur du texte H.R. 6358 et soutient particulièrement l'analyse des effets des radiofréquences (RF) sur les populations les plus vulnérables, incluant les enfants et les femmes enceintes." L''AAP se félicite de ce que "le projet de loi exige l’examen de ces effets lors de l’élaboration des normes d’exposition maximale. Les enfants sont touchés de manière disproportionnée par les expositions environnementales, y compris par le rayonnement des téléphones portables. Les différences de densité osseuse et de quantité de liquide dans leur cerveau par rapport à un cerveau d’adulte, pourraient permettre aux enfants d’absorber de plus grandes quantités d’énergie RF, plus profondément dans leur cerveau".
Le texte H.R. 6358 aura-t-il un meilleur sort aux Etats-Unis que la proposition de loi de Laurence Abeille en France ? A suivre.
Cathy Lafon
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- Les ondes électromagnétiques, c'est quoi ? Cliquer ICI
- Le site de Michèle Rivasi - Députée européenne Européenne : cliquer ICI
- Le site des électrosensibles en France : cliquer ICI
- PRIARTéM (Association pour une Réglementation des Implantations d'Antennes Relais) : cliquer ICI
- Le site de la Coordination nationale des collectifs "Stop Antennes" : cliquer ICI
- Le site de la CRIIREM : cliquer ICI
- Le site de Robin des Toits : cliquer ICI
- Le rapport 2011 de l'OMS : cliquer ICI
- Le site de l'AAP (Agence américaine de pédiatrie) : cliquer ICI