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Nucléaire - Page 62

  • Fukushima : "Une catastrophe illimitée dans le temps"

     fukushima enfants.jpg

    Deux ans après la catastrophe, commment vivent les enfants de Fukushima ? Photo ARTE DR

     Japon, vendredi 11 mars 2011, 5 h 46 mn 23 s UTC, soit 14 h 46 mn 23 s heure locale. Un séisme de magnitude 9  provoque un tsunami monstrueux : une vague de 15 à 30 mètres de haut submerge la région de Fukushima, au nord-est de Tokyo. Parcourant jusqu'à 10 km à l'intérieur des terres, elle ravage près de 600 km de côtes et détruit partiellement ou totalement de nombreuses villes et zones portuaires : 18.000 personnes meurent ou disparaissent. Le tsunami provoque enfin l'accident de la centrale de Fukushima-Daïchi, classé comme la catastrophe de Tchernobyl en 1986, au niveau 7, le plus élevé d l'échelle internationale des "événements" nucléaires.

     "Le monde après Fukushima"

     À quoi ressemble la vie des gens deux ans après une catastrophe nucléaire ? Entre résistance et désespoir, le documentariste japonais Kenichi Wabanabe raconce dans un documentaire exceptionnel diffusé sur ARTE le 5 mars dernier, "  le triste quotidien des gens dans la région de Fukushima : la non-vie, la vie le coeur arraché, la vie au jour le jour.

     Victimes mais "debout"

     Watanabe donne la parole aux victimes de l'accident. Bouleversant. Le réalisateur va partout. A 50 km de la centrale, où l'on voit des mères accompagnées leurs enfants irradiés chez le médecin pour leur contrôle obligatoire, jusqu'à 250 km de là, à Tokyo, la mégalopole de 30 millions d'habitants que les autorités ont envisagé évacuer, en mars 2011. En passant par une zone de pêche à 160 km au nord de la centrale, où l'on pêche toujours des poissons fortement contaminés, sans oublier Hiroshima, à 850 km de Fukushima. Fukushima :  "l'île de la Fortune", en japonais...  Tous victimes, tous profondément malheureux. Mais tous "debout".

    Vivre, est-ce juste "exister" ?

    Paroles de mères, paroles d'instutrices, paroles d'agriculturices et d'agriculteurs parole de pêcheurs... Les larmes sont étouffées, les mots dignes, courageux, émouvants mais précis pour évoquer la douleur qui accompagne depuis deux ans, au nord-est du Japon chaque petite chose de la vie quotidienne.  Avec les priorités et les obsessions qui sont désormais les leurs : se protéger, protéger les enfants, se nourrir, comprendre... Tous posent à leur manière la question fondamentale : vivre après la catastrophe nucléaire, est-ce vivre ?

     emission,télévision,fukushima,documentaireNettoyer l"innettoyable"

     Est-ce vivre que de devoir rejeter à la mer, dès que pêchés tous les poissons, trop contaminés pour être vendus et consommés,  moyennant une indemnisation de Tepco, la compagnie électrique de la centrale de Fukushima ? Quel avenir pour la  pêche dans cette région du Japon ? Est-ce vivre que de devoir se balader partout avec son dosimètre, afin d'évaluer le taux de radioactivité de l'endroit où l'on se trouve ? Enfants, adultes, chacun le sien chez les Ota. La famille d'agriculteurs revenue dans la zone doit déjouer les pièges de la "peau de léopard", ces taches de radioactivité qui contaminent la nature pourtant si belle. En fonction des vents, de la  pluie, l'ennemi omniprésent mais invisible et inodore, s'est répandu inégalement sur le sol, la végétation, les maisons. Alors, à Fukushima, on s'efforce aussi d'enlever la radioactivité des terres, des arbres, des maisons, des rues, des trottoirs... Mais que faire des déchets, eux-aussi contaminés ? Est-ce vivre que d'être condamné, chaque jour, à nettoyer avec les moyens du bord l'"innettoyable" ? Comme des prisonniers, condamnés à arracher chaque jour l'herbe invisible de la cour pavée d'un camp de travail.

     sato.jpg"L'argent ne remplace pas ce qu'on a perdu dans le coeur"

     Est-ce vivre, quand on est agricultrice comme Mikiko Sato, que de revenir dans une propriété abandonnée, dont la terre en apparence inchangée est désormais incultivable ? Madame Sato, âgée d'une soixantaine d'années, pleure : "Le nucléaire, c'est un désastre inventé par l'homme. La sécurité absolue, c'est un mythe". Elle esssuie des larmes, discrètes mais brûlantes : "On peut remplacer les choses matérielles avec de l'argent, mais pas ce qu'il y a dans le coeur et qu'on a perdu...[...] On a beau savoir que c'est dangereux, on a tellement de chagrin qu'on n'arrive pas à s'arracher du pays". Et encore : "Tepco est coupable, mais c'est surtout le gouvernement qui est coupable. Avec la course au profit qu'il a mené avec le nucléaire, il a vendu nos vies. Nous soufffrons. Et pour longtemps."

     dosimètres.png"Ne pas avoir d'enfants"

     Est-ce vivre, pour une mère, que de devoir demander à ses filles, âgées de 17 et 24 ans "de ne pas avoir d'enfants, et peut-être de ne pas se marier. Parce que certainement leur santé sera affecté plus tard..." ? Les dosimètres aux carrefours ou accrochés au cou des enfants renvoient sans cesse les habitants au"monstre invisible", comme ils disent, et aux particules tueuses qu'ils tentent de retenir en disposant de dérisoires bouteilles d’eau aux fenêtres, autour des parcs de jeux et des piscines... Est-ce vivre que de se demander tous les jours, quand on est institutrice :  " Il fait plus de 35 °C, peut-on laisser les enfants jouer dehors et se rafraîchir dans la pataugeoire ?" "On fait des contrôles réguliers, on apprend à vivre en décryptant les infomations des médecins et les analyses médicales", confie une jeune mère de famille, en chuchotant, au bord des larmes : "Jusqu'à quand ? On est épuisé, tellement fatigué..."

      "Toutes les victimes de cet accident ne sont même pas encore nées"

     Watanabe ponctue les témoignages de paroles de spécialistes et d'experts, afin, dit-il, "d'analyser la réalité scientifique et médicale sur la contamination". Le sociologue Ulrich Beck, auteur de "La société" du risque" (1986), livre en contrepoint son éclairage. Deux ans après, les débris des dégâts du tsunami ont été plus ou moins déblayés. La contamination due à la radioactivité échappée de la centrale, elle, est encore là, pour des centaines d'années... Alors, pour Ulrich Beck, il faut  parler de "catastrophe nucléaire", à propos de Fukushima, car "c'est le genre d'événements [...] qui ont une "fin ouverte", ce sont des catastrophes illimités dans le temps. [...] Nous avons du mal à appréhender le nombre de morts et de victimes que cela entraîne. [...] Plus de 25 ans après Tchernoby, toutes les victimes de cet accident ne sont même pas encore nées.", analyse-t-il. La particularité d'une catastrophe nucléaire, c'est qu'elle est en cours. On ne vit pas dans l'après, mais avec et pour des centaines d'années.

     manif tokyo.jpg"Après tout, ce n'est que de l'électricité !"

     A 250 km de Fukushima, à Tokyo, Watanabe filme les Japonais qui manifestent  régulièment en nombre contre le nucléaire depuis la catastrophe, et dénoncent le gouvernement qui, selon eux, "a abandonné les gens qui vivent dans les zones irradiées". Paroles de manifestants qui ne croient plus dans le nucléaire et critiquent la "nucléocratie" : de vieilles dames anonymes, comme cette grand-mère qui se dit "prête à mourir" pour que le monde sorte définitivement du nucléaire, des parents avec leurs enfants, des écrivains, comme Kenzaburo Oê, prix Nobel de littérature. Ou encore ce musicien, qui s'écrie: "Garder le silence après Fukushima est une autre forme de barbarie !". Et qui s'étonne de l'absurdité qui consiste à accepter que l'on puisse sacrifier de la sorte des vies humaines :" Après tout, ce n'est que de l'électricité ! Il y a d'autres moyens de produire de l'énergie. L'atome est une aberration." 

     ministre 70.jpg"L'unique sécurité est de ne pas avoir de centrale nucléaire du tout"

     D'autres paroles s'ajoutent encore. D'autres visages, filmés par Watanabe, ceux de "décideurs", comme Yoshihiko Noda, premier ministre japonais en exercice à l'époque de la catastrophe, dont les propos clôturent le film.  "A propos du nucléaire, j'ai changé d'avis à 180°. Je suis un grand-père, j'ai des petits-enfants. [...]. La sécurité absolue l'existe pas. L'unique sécurité, c'est de ne pas avoir de centrale nucléaire." avoue-t-il, en brandissant la photo de son petit-fils.

     "La demi-vie"

     Alors, oui, depuis Fukushima, une partie des Japonais vit, enfermée dans l'absurdité d'une situation incontrôlable qu'elle subit sans l'avoir choisie. Comme le dit Michaël Ferrier, l'écrivain français qui vit à Tokyo, dans "Fukushima, récit d'un désastre" : " On peut très bien vivre dans des zones contaminés : c'est ce que nous assurent les partisans du nucléaire. Pas tout-à-fait comme avant, certes. Mais quand même. La demi-vie. Une certaine fraction des élites dirigeantes est en train d'imposer  une entreprise de domestication comme on en a rarement vu depuis l'avènement de l'humanité".

    Cathy Lafon

    FUKUSHIMA EN CHIFFRES

    • 7 : c'est le niveau de gravité auquel est classé l'accident nucléaire de Fukushima, comme celui de Tchernobyl (Ukraine, 1986).  C'est le plus élevé sur l'échelle Ines (International Nuclear Event Scale).
    • 6.500 petabecquerels (PBq) : ce sont les rejets de gaz rares que la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi a relachés dans l'atmosphère, soit autant qu'à Tchernobyl.
    • 408 PBq : les émissions d'iodes radioactifs.58 PBQ : les émissions de césiums radioactifs.
    • 1.500 km2 : les sols fortement contaminés au Japon par la catastrophe, c'est à dire contenanant un dépôt de césiupm 137 supérieur à 300.000 Bq/m2.
    • 80% : la part des déchets radioactifs tombés dans l'océan. Il s'agit à la fois des eaux qui ont servi à refroidir les réacteurs et des retombées indirectes de poussières. 
    • 160.000 : le nombre de personnes évacuées qui n'ont pu réintégrer leur domicile. 220.000 habitants ont été déplacés au moment de l'accident.

    "Fukushima deux ans après" sur ARTE : 

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  • Fukushima : "Chronique d'un désastre". A voir ce soir, sur ARTE

    fukushima chronique desastre techniciens après explo.jpg

    Reconstitution de l'accident de la centrale de Fukushima par la NHK. L'équipe des techniciens durant la panne d'électricité. Photo  ARTE

    Après  "Le monde après Fukushima" diffusé mardi 5 mars, autopsie ce soir d'un accident nucléaire majeur avec un documentaire réalisé par la télévision publique japonaise, la NHK :  "Fukushima, chronique d'un désastre". Deuxième documentaire coup de poing diffusé par la chaine ARTE, pour mieux comprendre la catastrophe, le déroulé des événements et ses conséquences, deux ans après.

    Un accident, des questions et des explications

    En s'appuyant sur des simulations scientifiques et sur les témoignages d’ingénieurs présents dans la salle de contrôle au moment du drame, le documentaire de la NHK retrace l’enchaînement des événements qui ont mené à l’explosion du réacteur de la centrale de Fukushima le 11 mars 2011. Le film soulève d’importantes questions techniques et pour la première fois, donne des explications de l'accident.

    fukuhsima chronique desastre techniciens.jpgLes failles du système de sécurité

    Comment et pourquoi, après le tsunami, une panne complète de courant a-t-elle pu se produire au sein du réacteur de Fukushima ? Dans quelle mesure les travailleurs de la centrale ont-ils été informés des dommages causés aux installations ? Étaient-ils vraiment préparés à faire face à une telle situation ? Pour répondre à ces questions, NHK a recueilli les témoignages des ingénieurs de la centrale qui étaient présents dans la salle de contrôle au moment de l'accident. Interviews et scènes reconstituées révèlent un système de sécurité défaillant, le manque de préparation des équipes et, surtout, la vulnérabilité des réacteurs nucléaires.

    fukushima chronique desastre coeur fusion.jpgRelancer manuellement le condenseur

    Dans les centrales nucléaires, pour refroidir le réacteur nucléaire, il faut condenser la vapeur en évacuant la chaleur.  C’est le but d’un troisième circuit indépendant des deux autres, le circuit de refroidissement. Sa fonction est de condenser la vapeur qui de la turbine. Pour cela est aménagé un condenseur, appareil formé de milliers de tubes dans lesquels circule de l’eau froide prélevée à une source extérieure : rivière ou mer. A Fukushima, comme dans d'autres centrales nucléaires si le condenseur s'arrête suite à une panne d'électricité, ce qui a été le cas lors du tsunami, il faut le relancer manuellement. Ce que ne savaient pas les techniciens de Tepco, qui continuaient à recevoir des informations erronées et pensaient que le condeseur fonctionnait. Ces hommes ont pourtant agi avec courage et fait le sacrifice de leur vie. Selon le documentaire, ce dysfonctionnement s'était déjà produit lors de l'accident de la centrale nucléaire de Three mile island, aux Etats-Unis, le 28 mars 1979. Un enseignement en avait été tiré. Mais la procédure n'était semble-t-il, pas connue au Japon.

    "L"improbable est possible" :  Fukushima est "en fait, devant nous"

    Système défaillant et  erreur humaine se sont bien ajoutés à la catastrophe naturelle pour produire un accident nucléaire majeur. La sécurité absolue n'existe pas, aucun réacteur nucléaire n'est invulnérable. Telle était la conclusion de André-Claude Lacoste, l'ancien patron de  l'Autorité de sûreté nucléaire française, en juin 2012 : en matière de nucléaire, la seule certitude que nous ayons est la suivante : " Nous savons aujourd'hui que l'improbable est possible."

    Cathy Lafon

    Fukushima, chronique d'un désastre
    Documentaire de Akio Suzuki, Akihiko Nakai
    Production : NHK International inc. (Japon, 2012, 47 mn)
    Diffusion : jeudi 7 Mars à 22h50. Rediffusion :  dimanche 9 mars à  11 h 20

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  • Fukushima : "Une catastrophe illimitée dans le temps". Deux ans après, ARTE revient sur l'accident nucléaire

    emission,télévision,fukushima,documentaire

     Centrale de Fukushima, mars 2011 Photo archives AFP

    Japon, vendredi 11 mars 2011, 5 h 46 mn 23 s UTC, soit 14 h 46 mn 23 s heure locale. Un séisme de magnitude 9  provoque un tsunami monstrueux : une vague de 15 à 30 mètres de haut submerge la région de Fukushima, au nord-est de Tokyo. Parcourant jusqu'à 10 km à l'intérieur des terres, elle ravage près de 600 km de côtes et détruit partiellement ou totalement de nombreuses villes et zones portuaires : 18.000 personnes meurent ou disparaissent. Le tsunami provoque enfin l'accident de la centrale de Fukushima-Daïchi, classé comme la catastrophe de Tchernobyl en 1986, au niveau 7, le plus élevé de l'échelle internationale des "événements" nucléaires.

    fukushima 2 ans après.jpgDeux ans après, ARTE revient sur cette catastrophe hors norme avec deux documentaires exceptionnels, pour mieux comprendre le déroulé des événements et ses conséquences : "Le monde après Fukushima" diffusé mardi 5 mars et "Fukushima, chronique d'un désastre", à découvrir le 7 mars.

    "Le monde après Fukushima"

    À quoi ressemble la vie des gens deux ans après une catastrophe nucléaire ? Entre résistance et désespoir, le documentariste japonais Kenichi Wabanabe raconte ce soir sur ARTE le triste quotidien des gens dans la région de Fukushima : la non-vie, la vie le coeur arraché, la vie au jour le jour.

    Victimes mais "debout"

    Watanabe donne la parole aux victimes de l'accident. Bouleversant. Le réalisateur va partout. A 50 km de la centrale, où l'on voit des mères accompagnées leurs enfants irradiés chez le médecin pour leur contrôle obligatoire, jusqu'à 250 km de là, à Tokyo, la mégalopole de 30 millions d'habitants que les autorités ont envisagé évacuer, en mars 2011. En passant par une zone de pêche à 160 km au nord de la centrale, où l'on pêche toujours des poissons fortement contaminés, sans oublier Hiroshima, à 850 km de Fukushima. Fukushima :  "l'île de la Fortune", en japonais...  Tous victimes, tous profondément malheureux. Mais tous "debout".

    Vivre, est-ce juste "exister" ?

    Paroles de mères, paroles d'instutrices, paroles d'agriculturices et d'agriculteurs parole de pêcheurs... Les larmes sont étouffées, les mots dignes, courageux, émouvants mais précis pour évoquer la douleur qui accompagne depuis deux ans, au nord-est du Japon chaque petite chose de la vie quotidienne.  Avec les priorités et les obsessions qui sont désormais les leurs : se protéger, protéger les enfants, se nourrir, comprendre... Tous posent à leur manière la question fondamentale : vivre après la catastrophe nucléaire, est-ce vivre ?

    emission,télévision,fukushima,documentaireNettoyer l"innettoyable"

    Est-ce vivre que de devoir rejeter à la mer, dès que pêchés tous les poissons, trop contaminés pour être vendus et consommés,  moyennant une indemnisation de Tepco, la compagnie électrique de la centrale de Fukushima ? Quel avenir pour la  pêche dans cette région du Japon ? Est-ce vivre que de devoir se balader partout avec son dosimètre, afin d'évaluer le taux de radioactivité de l'endroit où l'on se trouve ? Enfants, adultes, chacun le sien chez les Ota. La famille d'agriculteurs revenue dans la zone doit déjouer les pièges de la "peau de léopard", ces taches de radioactivité qui contaminent la nature pourtant si belle. En fonction des vents, de la  pluie, l'ennemi omniprésent mais invisible et inodore, s'est répandu inégalement sur le sol, la végétation, les maisons. Alors, à Fukushima, on s'efforce aussi d'enlever la radioactivité des terres, des arbres, des maisons, des rues, des trottoirs... Mais que faire des déchets, eux-aussi contaminés ? Est-ce vivre que d'être condamné, chaque jour, à nettoyer avec les moyens du bord l'"innettoyable" ? Comme des prisonniers, condamnés à arracher chaque jour l'herbe invisible de la cour pavée d'un camp de travail.

    sato.jpg"L'argent ne remplace pas ce qu'on a perdu dans le coeur"

    Est-ce vivre, quand on est agricultrice comme Mikiko Sato, que de revenir dans une propriété abandonnée, dont la terre en apparence inchangée est désormais incultivable ? Madame Sato, âgée d'une soixantaine d'années, pleure : "Le nucléaire, c'est un désastre inventé par l'homme. La sécurité absolue, c'est un mythe". Elle esssuie des larmes, discrètes mais brûlantes : "On peut remplacer les choses matérielles avec de l'argent, mais pas ce qu'il y a dans le coeur et qu'on a perdu...[...] On a beau savoir que c'est dangereux, on a tellement de chagrin qu'on n'arrive pas à s'arracher du pays". Et encore : "Tepco est coupable, mais c'est surtout le gouvernement qui est coupable. Avec la course au profit qu'il a mené avec le nucléaire, il a vendu nos vies. Nous soufffrons. Et pour longtemps."

    dosimètres.png"Ne pas avoir d'enfants"

    Est-ce vivre, pour une mère, que de devoir demander à ses filles, âgées de 17 et 24 ans "de ne pas avoir d'enfants, et peut-être de ne pas se marier. Parce que certainement leur santé sera affecté plus tard..." ? Les dosimètres aux carrefours ou accrochés au cou des enfants renvoient sans cesse les habitants au"monstre invisible", comme ils disent, et aux particules tueuses qu'ils tentent de retenir en disposant de dérisoires bouteilles d’eau aux fenêtres, autour des parcs de jeux et des piscines... Est-ce vivre que de se demander tous les jours, quand on est institutrice :  " Il fait plus de 35 °C, peut-on laisser les enfants jouer dehors et se rafraîchir dans la pataugeoire ?" "On fait des contrôles réguliers, on apprend à vivre en décryptant les infomations des médecins et les analyses médicales", confie une jeune mère de famille, en chuchotant, au bord des larmes : "Jusqu'à quand ? On est épuisé, tellement fatigué..."

     "Toutes les victimes de cet accident ne sont même pas encore nées"

     Watanabe ponctue les témoignages de paroles de spécialistes et d'experts, afin, dit-il, "d'analyser la réalité scientifique et médicale sur la contamination". Le sociologue Ulrich Beck, auteur de "La société" du risque" (1986), livre en contrepoint son éclairage. Deux ans après, les débris des dégâts du tsunami ont été plus ou moins déblayés. La contamination due à la radioactivité échappée de la centrale, elle, est encore là, pour des centaines d'années... Alors, pour Ulrich Beck, il faut  parler de "catastrophe nucléaire", à propos de Fukushima, car "c'est le genre d'événements [...] qui ont une "fin ouverte", ce sont des catastrophes illimités dans le temps. [...] Nous avons du mal à appréhender le nombre de morts et de victimes que cela entraîne. [...] Plus de 25 ans après Tchernoby, toutes les victimes de cet accident ne sont même pas encore nées.", analyse-t-il. La particularité d'une catastrophe nucléaire, c'est qu'elle est en cours. On ne vit pas dans l'après, mais avec et pour des centaines d'années.

    manif tokyo.jpg"Après tout, ce n'est que de l'électricité !"

    A 250 km de Fukushima, à Tokyo, Watanabe filme les Japonais qui manifestent  régulièment en nombre contre le nucléaire depuis la catastrophe, et dénoncent le gouvernement qui, selon eux, "a abandonné les gens qui vivent dans les zones irradiées". Paroles de manifestants qui ne croient plus dans le nucléaire et critiquent la "nucléocratie" : de vieilles dames anonymes, comme cette grand-mère qui se dit "prête à mourir" pour que le monde sorte définitivement du nucléaire, des parents avec leurs enfants, des écrivains, comme Kenzaburo Oê, prix Nobel de littérature. Ou encore ce musicien, qui s'écrie: "Garder le silence après Fukushima est une autre forme de barbarie !". Et qui s'étonne de l'absurdité qui consiste à accepter que l'on puisse sacrifier de la sorte des vies humaines :" Après tout, ce n'est que de l'électricité ! Il y a d'autres moyens de produire de l'énergie. L'atome est une aberration." 

    ministre 70.jpg"L'unique sécurité est de ne pas avoir de centrale nucléaire du tout"

    D'autres paroles s'ajoutent encore. D'autres visages, filmés par Watanabe, ceux de "décideurs", comme Yoshihiko Noda, premier ministre japonais en exercice à l'époque de la catastrophe, dont les propos clôturent le film.  "A propos du nucléaire, j'ai changé d'avis à 180°. Je suis un grand-père, j'ai des petits-enfants. [...]. La sécurité absolue l'existe pas. L'unique sécurité, c'est de ne pas avoir de centrale nucléaire." avoue-t-il, en brandissant la photo de son petit-fils.

    "La demi-vie"

    Alors, oui, depuis Fukushima, une partie des Japonais vit, enfermée dans l'absurdité d'une situation incontrôlable qu'elle subit sans l'avoir choisie. Comme le dit Michaël Ferrier, l'écrivain français qui vit à Tokyo, dans "Fukushima, récit d'un désastre" : " On peut très bien vivre dans des zones contaminés : c'est ce que nous assurent les partisans du nucléaire. Pas tout-à-fait comme avant, certes. Mais quand même. La demi-vie. Une certaine fraction des élites dirigeantes est en train d'imposer  une entreprise de domestication comme on en a rarement vu depuis l'avènement de l'humanité".

    Deuxième volet de "Fukushima deux ans après" : rendez-vous le 7 mars, sur Ma Planète et sur ARTE pour "Fukushima, chronique d'un désastre".

    Cathy Lafon

    "Fukushima deux ans après" sur ARTE :

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