Des fleurs libres pour donner naissance à des semences libres © Alexander Heinlibres
Vous l'ignorez peut-être, mais si vous pouvez déguster aujourd'hui certains légumes anciens, dits "oubliés" et remis au goût du jour, ou encore découvrir d'existence de délicieuses tomates noires ou blanches aux formes qui n'ont rien de standard, c'est grâce à la lutte que mènent au quotidien de petits exploitants agricoles, souvent bio, pour préserver la biodiversité contre les grands semenciers agricoles. Et, contrairement aux apparences, cela n'a rien d'une évidence: aujourd'hui, en Europe, les paysans n'ont plus le droit de commercialiser leurs semences, sauf autorisation officielle, qui passe par un examen draconien des produits, légumes et fruits, cultivés.
Ce dimanche, après avoir vu le documentaire "Semences : les gardiens de la biodiversité", réalisé par Anja Glucklich et diffusé sur Arte, vous saurez tout sur le sujet.
Les menaces qui pèsent sur la biodiversité agricole
Les clés de l'équation de la biodiversité agricole sont assez simples. En 100 ans, un quart de la biodiversité des cultures a disparu et aujourd'hui, cinq multinationales de l’agrochimie, qui fabriquent aussi les pesticides et ont des intérêts dans l'industrie pharmaceutique, ont le monopole des semences mondiales et s'enrichissent en obligeant les paysans à utiliser les semences qu'elles ont sélectionnées. Depuis 30 ans, aucune variété à semence libre na été autorisée au catalogue des semences, qui passe au crible de 50 critères, l''homogénéité et la stabilité des légumes et des fruits produits. Pour espérer être inscrite au catalogue, une courgette doit, par exemple, être capable de faire un voyage autour du monde en gardant sa fraicheur, quand bien même la mode serait aux circuits courts. Enfin, en Europe, une ferme disparaît toutes les dix minutes...
Redonner aux agriculteurs le droit d'exercer leur métier de paysans
Voilà pourquoi, en Allemagne comme en France, dans le Lot-et-Garonne, près d'Agen, ou encore à Montpellier et sur le plateau du Larzac, de petits exploitants, des agriculteurs bio, des chercheurs et les citoyens européens se mobilisent contre le diktat européen et contre la confiscation par quelques grands groupes internationaux des semences, source de nourriture et donc de vie pour l'humanité. Leur objectif : redonner aux paysans, devenus trop souvent les exécutants de l'agrochimie, le droit et la possibilité de sélectionner, de multiplier et d'échanger leurs semences agricoles. De nouvelles variétés de fruits et légumes anciennes et nouvelles pourraient ainsi rejoindre nos assiettes et assurer par la même occasion la biodiversité de l’environnement en luttant contre l’appauvrissement et la pollution des sols.
Du Lot-et-Garonne à l'Allemagne, en passant par Montpellier
Anja Glucklich nous fait voyager à travers l'Europe. En Allemagne, chercheurs, agriculteurs et jardiniers s'unissent pour sauvegarder des semences biologiques et créer de nouveaux légumes. En Lot-et-Garonne, Jean-François Bertellot explique comment les plantes apprennent à s'adapter au manque d'eau ou à un sol pauvre et prospèrent au bout de quelques années. Et comment on peut combattre la pyrale du maïs, grâce a son prédateur naturel, une mouche, que l'on introduit dans les champs : plus sain et bien moins coûteux que les phytosanitaires... Selon lui, le véritable enjeu de l'agriculture du XXIème siècle, c'est la transformation du modèle agricole, afin de le faire évoluer en un modèle d'agriculture naturel, capable de supporter en s'y adaptant les changements climatiques. C'est ainsi qu'on obtiendra la sûreté alimentaire et qu'on vaincra la faim dans le monde. Tel est aussi le credo de Bob Brac de la Perrière (photo ci-dessus) membre du réseau "Semences paysannes", généticien des plantes et chercheur réputé installé à Montpellier, qui consacre sa carrière à la défense des semences bio à pollinisation libre. Tout cela est bel et bon, mais cela doit passer par la loi.
Le 6 mai 2013, une proposition de loi allant dans ce sens a bien été soumise à la Commission européenne. Depuis, les lobbyistes des puissants semenciers ne cessent de manœuvrer pour ne pas perdre leur monopole. L'enjeu est énorme, car les agriculteurs bio pourraient en perdre leur droit de rééutiliser les graine semences issues de leurs récoltes... En Europe, dans les campagnes et les instituts de recherches, l'inquiétude et la mobilisation sont grandes.
Cathy Lafon
►"SEMENCES : LES GARDIENS DE LA BIODIVERSITÉ", Anja Glucklich, 52 min. Diffusion sur Arte, ce dimanche 16 mars à 10h20.