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"La Désolation": le désastre des "humains jetables de Fukushima"

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Sur le site de Fukushima. Photo archives AFP

fukushima,catastrophe nucléaire,livre,critique,travailleurs,enquête,arnaud vaulerin,journaliste,libérationCentrale nucléaire de Fukushima-daiichi, Japon, été 2013: près de deux ans après le tsunami qui a provoqué l'explosion et l'arrêt des réacteurs, des dizaines de milliers de travailleurs, souvent précaires, sont intervenus sur la centrale depuis 2011. Ils seront encore des dizaines de milliers à défiler sur le site, au moins les 40 prochaines années, dans des conditions plus qu'éprouvantes.

En témoigne "La Désolation", le livre-enquête du journaliste de "Libération", Arnaud Vaulerin, qui dénonce le sort des "humains jetables de Fukushima".

Près de 2.000 décès indirects liés au nucléaire

Il y a cinq ans, le 11 mars 2011, un tremblement de terre suivi d'un tsunami géant tuait 15.894 personnes et faisait 2.562 disparus au Japon. Dans la région de Fukushima, où la vague noire géante, haute de plus de 15 mètres, a tué 1.607 personnes et dévasté la centrale nucléaire de Fukushima-daiichi,  les autorités ont reconnu officiellement que l'atome avait provoqué 1.656 décès indirects (stress de l'évacuation, suicides, maladies aggravées par l'absence de soin). Sur le site de la centrale elle-même, dix travailleurs ont trouvé la mort depuis 2011 : deux le 11 mars, cinq de maladie (arrêt cardiaque, hyperthermie et leucémie) et trois d'accidents survenus sur le chantier.

Un seul lien reconnu avec la radioactivité de la centrale pour la leucémie d'un ouvrier

fukushima construction mur de glace-1600.jpgEn août 2014, une étude sur l'impact des radiations de la catastrophe de Fukushima a révélé que plus d'une centaine de jeunes âgés de moins de 18 ans au moment de l'accident nucléaire de 2011 avaient développé un cancer de la thyroïde confirmé par chirurgie ou fortement soupçonné. Le lien avec le désastre atomique n'est cependant pas entièrement établi. Concernant les travailleurs de l'atome sur le site de Fukushima, à ce jour, un seul lien lien officiel a été établi par les autorités japonaises, en décembre 2015, entre un ouvrier souffrant d'une leucémie et la radioactivité de la centrale.

Un bilan sanitaire qui devrait être moins lourd qu'à Tchernobyl

Si l'on est en droit de craindre une hausse de certains types de cancer au Japon suite à la catatrophe, elle devrait être moins lourde qu'à Tchernobyl  (Ukraine, 1986) plusieurs centaines de liquidateurs sont déjà morts et où plus de 6 800 cancers de la thyroïde avaient été recensés de 1986 à 2008. Il y a eu en effet dix fois moins d'énergie radioactive émise à Fukushima qu'en Ukraine. Par ailleurs, le Japon a pris toutes les mesures de restriction nécessaires pour éliminer au maximum les sources de contamination interne, en interdisant la circulation et la commercialisation des produits issus de la zone polluée. Les autorités ont également mis en place un suivi sanitaire systématique de 360 000 enfants de la préfecture de Fukushima, âgés de 0 à 8 ans.

Quel suivi sanitaire pour les intérimaires de Fukushima ?

fukushima chantier-1600.jpgCe qui n'est pas vraiment le cas pour ces quelque 42.200 travailleurs (8.000 par jour) qui se sont succédé sur le site de la centrale de Fukushima depuis 2011, dans des conditions particulièrement éprouvantes. Si la situation s'est améliorée et que le pire a été évité, c'est grâce à ces hommes. Qui sont-ils ? "Ils sont sans visage, sans parole, ne se montrent pas, n'existent pas. Leur vie est consacrée à la destruction d'un ennemi invisible au coeur d'une région fantôme", écrit dans son livre Arnaud Vaulerin. Pour leur donner un visage, le journaliste correspondant de "Libération" au Japon, s'est immergé, durant de longs mois, au pays de la mort invisible et incertaine, sur une terre contaminée d'où la catastrophe a chassé plus de 200.000 personnes et où des dizaines de grues, pelleteuses, bulldozers et des milliers de silhouettes s'affairent pour tâcher de réparer les dégâts.

Les "sacrifiés"

Pas toujours vraiment rassuré pour sa propre sécurité sanitaire (et on le comprend), il est allé à la rencontre de ces ouvriers dévoués, condamnés à la loi du silence, chargés de nettoyer les écuries d'Augias de l'atome et de ramasser les débris radioactifs : une mission quasi impossible, une tâche sans fin et dangereuse, réservée à des milliers d'hommes pour la plupart sans qualification, qui opèrent souvent sans combinaison. Et qui planquent parfois leur dosimètre pour pouvoir continuer à travailler quand ils ont dépassé les doses admissibles. Ce sont les "sacrifiés", vaste armée de travailleurs précaires, venus par patriotisme sacrificiel d'abord, puis par nécessité financière, oeuvrer au démantèlement de la centrale. Isolés et considérés comme des pestiférés dans leur propre pays, méconnus ailleurs, sous-payés et broyés par une administration tentaculaire où les sous-traitants sont légion, Arnaud Vaulerin les a suivis pendant plus de deux ans et a enquêté jusque dans les bureaux aseptisés de la puissante Tepco (Tokyo electric power company), dont trois ex-dirigeants sont aujourd'hui mise en cause devant la justice, dans  la catastrophe de Fukushima-daiichi.

fukushima,catastrophe nucléaire,livre,critique,travailleurs,enquête,arnaud vaulerin,journaliste,libérationEt chez nous ?

Les niveaux de radiation auxquels ces "gitans du nucléaires" sont exposés, sont bien supérieurs au seuil maximal sur un site où règnent l'anarchie et l'omerta. Mais le récit du journaliste le laisse deviner : le pire est peut-être encore à venir : niveaux de radiation records, sécurité limitée, travaux effectués à la va-vite, fuites, bricolage et risques médicaux encore méconnus, la catastrophe nucléaire est loin d'être terminée. Au-delà, Arnaud Vaulerin nous fait réfléchir sur les risques nucléaires qui menacent nos sociétés. Qui aurait pu imaginer qu'une catastrophe majeure de cette nature et d'une telle envergure puisse se produire au Japon, troisième puissance mondiale et pays des plus hautes technologies ? "Et chez nous, en France, si semblable désastre nous arrive, y aura-t-il des dizaines de milliers d'hommes prêts à faire le sacrifice de leur vie pour sauver une partie de leur territoire ? Notre démocratie saura-t-elle y répondre et y survivre ?"  Voilà au moins deux questions qui nous hantent, après la lecture de ce récit, véritable documentaire exceptionnel et précieux, dans la lignée de "La supplication", le livre de Svetlana Alexievitch (prix Nobel 2015), consacré à une autre apocalypse nucléaire : celle de Tchernobyl.

Cathy Lafon

►LE LIVRE

  • "La Désolation", Arnaud Vaulerin, Grasset, 20016, 20,00 €

►LIRE AUSSI

  • Le dossier de Sud Ouest Où en est Fukushima, 5 ans après la catastrophe nucléaire : cliquer ICI
  • Les articles de Ma Planète sur le nucléaire : cliquer ICI
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