Climat. En Gironde, les satellites de i-Sea tiennent l'océan, le littoral et les cours d'eau à l'oeil
Virgine Lafon, Olivier Regniers, Cécile Curti et Aurélie Dehouck, l'équipe d'i-Sea. Photo i-Sea
Depuis 2014, les quatre chercheurs d' i-Sea, une toute jeune entreprise bordelaise, surveillent de près le littoral et les cours d’eau, avec les images des satellites Pléiades du CNES (Centre national d'études spatial), mais aussi des SPOT-6 et 7 (Airbus), Terra SAR-X (DLR, équivalent allemand du CNES) ou encore des Sentinel (Agence spatiale européenne, ESA). Dernière née en Gironde dans le secteur prometteur des applications commerciales des satellites d'observation de la Terre, la start-up n’aspire qu’à grandir.
i-Sea… le littoral
Le climat qui se réchauffe fait aussi chauffer les satellites, producteurs de données indispensables pour satisfaire la voracité de milliers de scientifiques tout autour du monde, avides d’infos à traiter et à analyser, pour mieux comprendre et anticiper les phénomènes liés au changement climatique. Erosion du littoral, suivi du trait de côte et de l'impact des tempêtes hivernales, cartographie des écosystèmes littoraux pour mieux comprendre l'évolution de la biodiversité (des huîtres sauvages aux herbiers des plantes aquatiques), analyse du bon état écologique des eaux des fleuves, des estuaires, des lagunes et des marais... Autant d'enjeux majeurs pour les habitants de la planète Terre, à l'heure où 20% de ses côtes mondiales sont menacées par la montée des eaux, tandis que la raréfaction des eaux douces menace. I-Sea, qui a soufflé en août dernier la première bougie-anniversaire de son installation à Mérignac, est là pour aider les politiques et les décideurs à les relever.
La tête dans les étoiles
I-Sea mobilise et commercialise ses services d’observation par satellite et de diagnostic des milieux aquatiques et littoraux, à partir des données satellite Pléiades du Cnes, pour étudier les traits de côte et celles des Sentinel européens, pour les eaux douces. "Leurs images, de très haute résolution sont faciles d'acquisition et même gratuites pour les Sentinel !", explique Virginie Lafon. Ingénieure à l'université de Bordeaux, la spécialiste de la télédétection par satellite dirige, au sein de la petite entreprise, la recherche et le développement des activités spatiales.
Depuis le lancement des deux premiers Sentinel (2014 et 2015), les scientifiques ont désormais accès à une quantité phénoménale de données, émanant de tous les points du globe, et surtout, disponibles quasiment en temps réel. L’intérêt local ? "C’est une aide ultra-précieuse pour établir des cartes de la couleur des eaux et suivre, par exemple, l’évolution de la masse des sédiments du bouchon vaseux et la qualité de l’eau de la Garonne. Une information indispensable pour étudier la vie des poissons qui peuplent le fleuve et derrière, préparer l'avenir des activités de la pêche. Ou encore surveiller la qualité des eaux de baignade sur les plages", indique la scientifique.
BALIST, l’arme fatale
L’arme fatale d’i-Sea, c’est BALIST, son service de cartographie de la bathymétrie (science de la mesure des profondeurs et du relief de l'océan) des petits fonds en zone littorale. "BALIST repose sur une analyse des images satellites d'un coût abordable, dix fois moins chère en moyenne que les outils classiques, grâce à une méthode de détection semi-automatisée", précise-t-elle. Ultra-performante, l’innovation a été récompensée en 2012 à Munich par le prix Astrium Radar Challenge de l’ESA. Moyennant quoi, l'équipe d'i-Sea est capable de réactualiser fréquemment ses données, notamment pour le trait de côte dont l'avenir inquiète tant les gestionnaires publics que privés, afin de produire une analyse historique de son évolutionet de prédire sa position future.
Secteur privé et international
On l'a compris, les applications spatiales sont au coeur du métier de la start-up. Son savoir-faire s’appuie sur l’expertise d’un solide réseau international de chercheurs tissé localement depuis plus de dix ans par la cellule de recherche universitaire bordelaise GEO-Transfert (cellule de transfert de technologie de l’Université de Bordeaux et de l’ADERA), dont elle est issue. Mais, première différence de taille, si GEO-Transfert fournissait déjà des études environnementales à ses clients institutionnels en Aquitaine, sa terre natale, en Vendée et en Languedoc-Roussillon, I-Sea vise désormais aussi la clientèle privée des ports, des ostréiculteurs, des pêcheurs, des entreprises du BTP, des loisirs et du tourisme… Bref, tous les acteurs économiques et sociaux, qui s’intéressent à la qualité de l’eau et qui, installés sur le littoral, le surveillent, le gèrent et en vivent. Et ce, potentiellement, dans le monde entier. Après avoir décroché un premier contrat pour le Groupement d'intérêt public (GIP) Loire-Estuaire qui veut connaître et gérer la délimitation de l’inondation du lit de la Loire, avec l’impact des marées et des crues, i-Sea veut ouvrir à l'international la palette de ses solutions innovantes pour la gestion des eaux.
"Dronéo", le bateau-drone du futur
Les satellites, c’est bien. Mais aujourd'hui, impossible de faire l'impasse sur les promesses des merveilles technologiques des drones. Deuxième étape de la fusée i-Sea : en 2016, l’entreprise va développer des activités d’observation et de mesures sur le terrain avec un nouveau drone aquatique. "Pour nous, le progrès sera énorme : le futur bateau-drone marin auto-piloté, en cours de fabrication à Blanquefort chez R&Drones, est un vrai bijou haute-couture. On le déplace, on le monte facilement et on peut y installer toutes sortes de capteurs océanographiques pour mesurer très rapidement la qualité de l’eau, la salinité, la turbidité, la température, la profondeur, les courants... Il peut aussi naviguer en milieu hostile. Une fois les relevés effectués, hop, au labo pour les analyses…", résume la chercheure. La start-up mise sur ce nouvel outil pour s'attaquer au marché colossal de la quantification des stocks d’eau, notamment pour l’irrigation agricole. En France comme en Afrique, en Amérique ou en Asie, l’avenir de l'humanité, c’est aussi savoir mieux gérer ses réserves d’eau douce.
"Complémentaire avec Telespazio France"
La société de services satellitaires Telespazio France, implantée à Toulouse, a devancé d'un poil la naissance d'i-Sea, en créant fin 2013 à Latresne (Gironde), un site EarthLab Galaxy, en partenariat avec la Région Aquitaine et Aérocampus. Composé de dix personnes, il suit notamment la végétation des vignes, l'érosion de la côte et la morphologie des fonds pour le réensablement des plages. La jeune pousse mérignacaise pourra-t-elle tirer son épingle du jeu face à une telle concurrence ? "Nos services se recoupent parfois… ", analyse Virginie Lafon. "Si i-Sea bénéficie de l'expertise scientifique de GEO-Transfert, acteur local plus ancien dans les activités satellitaires, elle ne joue pas vraiment dans la même catégorie que Telespazio France", reconnait-elle.
De la place pour tout le monde
La filiale de Telespazio, société des groupes Finmeccanica/Thales (658 millions d’euros en 2014 pour un effectif de 2 500 personnes) se présente comme un acteur majeur du spatial. Mais pour la jeune femme, qui ne perd pas de vue son business-plan, un chiffre d'affaires de 500.000 euros en trois ans et sept emplois créés, les deux sociétés doivent jouer la carte de la complémentarité. "Dans notre secteur d'activité, il y a de la place pour tout le monde", veut-elle croire. Au vu de l’urgence climatique de la planète, on a très envie de lui donner raison.
CONTACTS
i-Sea, 25 Rue Marcel Issartier, 33700 Mérignac, 06 17 18 25 33. Site internet : cliquer ICI
PLUS D’INFO
- 4 scientifiques et 7 partenaires pour des emplois durables et locaux
I-Sea, c’est une équipe pluridisciplinaire de quatre scientifiques complémentaires : Olivier Regniers, ingénieur agronome, spécialisé dans le traitement et l’analyse d'image, Cécile Curti, biologiste et spécialiste SIG spécialisée dans la cartographie et la géomatique, Aurélie Dehouck, géographe, géomorphologue, présidente et chargée du développement commercial et Virginie Lafon, océanographe, spécialiste en télédétection, dédiée à la recherche et au développement des applications spatiales. Et bientôt, leur complice de terrain, Stéphane Kervalla, un hydro-sédimentologue associé depuis le début à l'aventure d'i-Sea, viendra étoffer l'équipe. Tous en CDI.
Créer des emplois locaux durable relève des défis socio-économiques lancés par la jeune pousse, qui compte aussi comme partenaires la Région Aquitaine, l’ADERA, le CNES, GEOXYZ, AIRBUS Defence & Space, l’Université de Bordeauxet encore R & Drone.
- Label ESA BIC Sud France
Incubée à Bordeaux Technowest depuis janvier 2015, I-Sea bénéficie du label ESA BIC Sud France, piloté par le pôle de compétitivité Aerospace Valley. Ce financement européen de l’Agence spatiale européenne, tisse un réseau européen d’entreprises spécialisées dans le développement spatial qui, parti d’Europe du nord, s’étend en France. Dans ce cadre là, l’entreprise a obtenu un financement recherche et développement qui lui a permis de créer un emploi sur un poste dédié au traitement d’images, afin de rendre exploitable sur tous les littoraux du monde son service de bathymétrie.
- GEO-Transfert
Cellule de transfert de technologie de l'association Adera qui participe à la valorisation des recherches du laboratoire d'océanographie EPOC de l'Université de Bordeaux, GEO-Tarnsfert propose des services de surveillance, d'étude d'impact, d'expertise scientifique et technique pour la gestion des zones côtières et fluviales. Site internet : cliquer ICI