Marie-Monique Robin, région de Fukushima, juin 2012, Arte
Partir ou rester ? Depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima, en mars 2011, c’est la question qui hante les agriculteurs de la préfecture japonaise. Comme celle qui ronge les habitants des environs de Tchernobyl, qui souffrent depuis 1986 de voir leur terre "confisquée".
Auteur de "Le monde selon Monsanto", "Notre poison quotidien" et les "Moissons du futur", Marie-Monique Robin est allée à la rencontre de trois familles paysannes pratiquant l’agriculture biologique à Nihonmatsu, une ville entre montagne et champs, à trente kilomètres de la zone interdite.de Fukushima. Cela a donné un reportage « Japon : terres souillées » , diffusé ce soir sur Arte, dans lequel la journaliste revient sur des rencontres qu'elle avait déjà esquissées dans "Les Moissons du futur", son dernier documentaire optimiste qui montre l'espoir que représente l'agrobiologie pour nourrir le monde en sortant du cercle infernal des pesticides et de l'agriculture chimique.
L'aristocratie bio de la terre japonaise
Les paysans de Fukushima, région essentiellement agricole de l'archipel nippon, sont de véritables aristocrates de la terre, respectés par leurs concitoyens qu'ils nourrissent. Ils ont la particularité de pratiquer depuis plus de trente ans l'agriculture biologique, dont ils sont des pionniers. Après la catastrophe de la contamination au mercure de Minamata (1957), ce sont les mères japonaises qui ont inventé les Tekei (systèmes d'échange et de production agricole régis par une véritable alliance entre les paysans et les consommateurs), afin de nourrir sainement leurs enfants, Tekei qui ont inspiré les Amap, que nous connaissons aujourd'hui en France... Avec la catastrophe de la centrale nucléaire, les voilà confrontés à une situation monstrueuse, totalement iinédite et injuste, qui remet en cause l'essence même de leur existence : eux qui prenaient tellement soin de la terre, ils ne savent plus comment assumer leur mission séculaire de nourriciers pour leurs contemporains.
Faire face et essayer de reconstruire, ou partir ?
« Nous faisons face à la terre et essayons de la reconstruire », explique Mizuho, qui a décidé de ne pas quitter la ferme avec son père, Seiju Sugeno. Les deux Japonais multiplient donc les expériences pour décontaminer leurs sols biologiques, avec la collaboration étroite d'un scientifique de l’Université de Nigata, car ils ont constaté qu’ils fixaient deux fois plus le césium que les sols conventionnels. Kisabura Tanno et son épouse ont quant à eux abandonné la ferme que leur famille exploitait depuis treize générations, pour s'installer ailleurs : plus personne ne veut leur acheter leurs légumes...
Mourir avec la terre...
Enfin, Marie-Monique Robin rencontre les proches de Shisasei Taruwaka, un agriculteur qui s’est suicidé deux semaines après l’accident de Fukushima, tel un samouraï, le jour où les autorités lui ont ordonné de détruire complètement ses récoltes et qui racontent aussi leur tragédie dans le dernier documentaire de Jean-Paul Jaud : "Tous cobayes ?".
Ce que nous disent les paysans de Fukushima est terrible, car lourd d'un chagrin que rien ne saurait éteindre : "Un séisme, un tsunami on sait faire, on souffre, mais on reconstruit, on cultive à nouveau la terre. Mais un accident nucléaire qui laisse des sols et des végétaux apparemment intacts mais hautement irradiés, et pour des centaines d'années, ça on sait pas faire."
Ce qu'ils nous disent est terrible, car leur cauchemar, vécu auparavant par les paysans de Tchernobyl en Ukraine, peut se reproduire n'importe où sur la planète, en cas de nouvel accident nucléaire...
Pourtant, loin de tout misérabilisme, ce sobre et pudique documentaire se termine par une note d’espoir. Celui de ces jeunes agriculteurs de Fukushima qui rêvent de reconstruire "le lien entre producteurs et consommateurs".
Cathy Lafon
►LIRE AUSSI