Des inscriptions dénonçant les risques de pollution du Bassin ont été faites sur la clôture du Syndicat mixte de la Grande Dune du Pilat (20 juillet 20112) DR
Quinze jours après l'accident industriel survenu à l'usine papetière de Smurfit Kappa, à Biganos, le 5 juillet dernier (photo Sud Ouest ci-contre), il y a de la colère dans l'air sur le Bassin... En témoignent les inscriptions sauvages découvertes le 20 juillet sur la palissade du chemin de la Dune du Pilat. Acte de vandalisme contre lequel une plainte à été déposée par le Syndicat mixte de la Grande Dune du Pilat, mais aussi réaction de colère, devant la pollution avérée d'un site à l'éco-système déjà très fragilisé et devant le manque d'information du public.
Ce n'était peut-être pas un hasard si, le même jour, le sous-préfet du Bassin d'Arcachon organisait à Biganos une réunion d'information à laquelle une soixantaine de personnes, associatifs, ostréiculteurs, pêcheurs, acteurs de l'économie locale du tourisme et élus participaient, qu'ils aient été invités officellement ou non. Tous très préoccupés par la sécurité de l'usine, la nature des effluents polluants et la question de leur rejet par l'usine dans le Wharf de la Salie, et donc dans l'océan à l'entrée du Bassin.
L'Ifremer, la Sepanso, la CEBA (Coordination des associations environnementales du Bassin d'Arcachon), la LPO (Ligue de protection des oiseaux), le syndicat des ostréiculteurs, les pêcheurs professionnels, le Parc régional naturel des Landes de Gascogne, notamment, étaient là, aux côtés du Siba (Syndicat intercommunal du Bassin d'Arcachon), des élus, de la DRIRE, de la DREAL, la DDTM et de la direction générale de l'usine Smurfit Kappa.
En complément des articles de "Sud Ouest", Ma Planète, dans son rôle de "gratteur écologiste", s'interroge plus spécifiquement sur les conséquences environnementales, immédiates ou non, d'un accident industriel qui a causé une pollution importante en pleine zone Natura 2000.
Michel Daverat (photo archives "SO" ci-contre), conseiller régional EELV, président du Syndicat mixte de la Grande Dune du Pilat, vice-président du Parc régional des Landes de Gascogne et président du comité de pilotage de la zone Natura 2000 grande Leyre-petite Leyre, impactée par la pollution, a participé à la réunion du 20 juillet. Il répond à nos questions... Souvent par d'autres questions.
"Priorité au retraitement d'une partie des effuents en interne"
Ma Planète. Alors, cette réunion, elle s'est bien passée ? Etes-vous satisfaits des informations qu'on vous a données ?
Michel Daverat. Satisfaits.... On ne peut pas l'être, vu ce qui est arrivé à Smurfit. La réunion a le mérite d'avoir enfin eu lieu. Elle s'est passé, c'est tout. Pour nous, il y a eu à Biganos un accident très grave sur le plan écologique. Or on a l'impression qu'on a cherché à le minimiser dès le début. Et puis, ça manque de clarté. On a appris le 20 juillet que priorité était donnée à la sécurisation du site, afin de permettre le traitement sur place d'une partie de la liqueur noire, produit hautement polluant et très corrosif, stocké depuis l'accident dans le bassin de rétention "Saugnac". Il s'agit d'un mélange composé de 50% de bois brûlé et 50% de sulfate de soude. A cet effet, le préfet a signé un nouvel arrêté, fixant les conditions dans lesquelles l'usine est autorisée à remettre en service les installations. Pour autant, l'activité industrielle de l'usine ne redémarre pas. Ce sont donc 420 personnes qui sont en chômage technique, pour une durée indéterminée. La direction de l'usine espère toutefois redémarrer à la mi-août.
"Une gestion de crise de la pollution pas vraiment transparente et beaucoup de questions"
Considérez-vous que la gestion de la crise est "transparente" ?
M.D. Pas vraiment. "Sud Ouest" en a parlé : un arrêté préfectoral daté du 9 juillet a déjà autorisé le traitement d'une partie des effluents contenus dans le bassin de rétention où s'est déversée la presque totalité des 3.500 m3 de liqueur noire échappée de la cuve éventrée. En vertu de cet arrêté, l'usine doit traiter sur place une partie des effluents dans sa propre station d'épuration, avant de les rejeter dans le collecteur qui va les déverser au Whaf de la Salie dans l'océan.
Or nous, les élus, la société civile, lse associations et les organismes représentatifs des professionnels locaux, nous n'avons eu connaissance de cet arrêté que le 18 juillet ! En même temps que la presse... Ca nous a vraiment mis en colère, car nous sommes déjà opposés, pour la plupart d'entre nous, aux rejets du Wharf dans l'océan. Cela n'a fait que renforcer notre inquiétude légitime quant à la nature polluante des rejets issus de la fameuse liqueur noire polluante de Smurfit qui ont été effectués au Wharf, sans qu'aucune communication officielle préalable n'ait été faite.
La question du Wharf de la Salie
Depuis l'arrêté du 9 juillet, le directeur régional adjoint de la Dreal, Gérard Criqui, l'a bien confirmé le 20 juillet, 12 000 m3 du liquide corrosif échappé de la cuve éclatée, ont déjà été retraités par la station de l'usine, rejetés dans le collecteur du Siba puis dans l'océan, au Wharf de la Salie, qui déverse dans l'océan les eaux usées de l'usine Smurfit-Kappa et les eaux usées des communes du bassin. A cet endroit-là, des gens se baignent sur la plage de la Salie (Plage de la Salie, 21 juillet, photo DR René Capo, ci-contre). Et pendant ce temps-là, nous exprimions tous notre opposition à l'éventualité de ces rejets ! On nous a bien sûr précisé que "des analyses de ces effluents ont lieu toutes les quatre heures et les normes sont inférieures à ce qui est autorisé et à ce qu'évacue d'habitude l'usine". Mais cela ne nous a pas entièrement rassurés. Et ça ne compense pas non plus l'absence d'infomation initiale. Enfin, même si les relevés évoqués par la Dreal sont bons, pour moi, la pollution de la zone concernée ne se résumera pas à 350 kg de poissons et d'animaux morts. Il y aura des répercussions sur la faune et la flore locale : le site est classé ZNIEFF (Zone Naturelle d’Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique). Et relève du futur parc marin, destiné à préserver la biodiversité et le tissu économique qui en dépend... Il faut faire des analyses et des études poussées et plus longues, dont je crains que les résultats ne soient pas bons du tout. Et puis, il y a quantité de questions pour lesquelles on ne nous donne pas de réponses.
"Pas de chiffres précis, pas de document officiel synthétique distribué"
Quelles sont ces questions ?
M.D. D'abord, quel est le volume réel de la fameuse liqueur noire, toxique pour l'environnement aquatique échappée de la cuve et contenue aujourd'hui dans le bassin de rétention, que l'usine doit épurer sur place ? Il y avait 3.500 m3 dans la cuve et on se retrouve avec 65 000 m3 ? La rumeur de 85.000 m3 a même circulé cette semaine : la liqueur noire se serait diluée dans de l'eau pompée dans le Lacanau au moment de l'accident. Quelle est la dilution du produit toxique actuel ? Et comment est-on passé d'un volume de 3.500 m3 de liqueur noire contenue par la cuve à 65.000 m3 d'un produit encore assez concentré en liquide polluant ?
L'usine doit retraiter en interne une partie du produit toxique, pour la mettre aux normes compatibles à ses autorisations habituelles concernant les rejets. Mais à quoi correspondent pour le mélange actuel les normes autorisées pour les rejets habituels de l'usine? Si elles sont adaptées aux produits traités par l'usine dans son fonctionnement ordinaire, quelle assurance avons-nous qu'elles soient totalement efficaces pour les effluents actuels ?
Ensuite, si, comme l'arrêté du 9 juillet le stipule, l'autorisation a été donnée à l'usine de traiter la liqueur noire en interne et sur place avant de la rejeter, elle doit aussi en faire retraiter au moins 20.000m3 ailleurs. Il existe donc bien des solutions alternative à un traitement sur place, qui n'est peut-être pas pas optimal. Mais lesquelles ? Et où ? Pourquoi ne le dit-on pas ?
J'ai enfin aussi des doutes et des craintes sur la parfaite étanchéité du bassin de rétention où le liquide polluant est stocké. Il aurait été préférable de gérer la pollution comme une marée noire et de contenir le produit dans des bassins pneumatiques, pour le neutraliser avant de rejeter. C'est peut-être facile à dire après coup, mais pourquoi n'a-t-on pas déclenché l'équivalent d'un plan Orsec marée noire ?
"La mer est toujours une poubelle"
Etes-vous le seul à critiquer les solutions déployées ?
M.D. Non, en réalité personne n'approuve, tout le monde reste notamment opposé aux rejets dans le Wharf. Mais comme il y a 400 personnes en chômage technique et une usine à redémarrer au plus vite, les enjeux du tourisme local, en plein été, le parc ornithologique tout proche... peut-être certains sont-ils aussi soulagés que le produit soit rapidement évacué, même s'il est rejeté dans l'océan après le traitement, au risque d'aggraver la pollution de la mer et du Bassin. Et pourtant, c'est un recul, on remet à la mer des molécules qu'on n'y mettait plus...
Des préoccupations unanimement partagées
Michel Daverat n'est pas tout seul à se poser ces questions. L'absence de chiffres précis, c'est aussi ce que regrette dans "Sud Ouest" du 21 juillet, le représentant des ostréiculteurs du Bassin, Olivier Laban (photo archives Sud Ouest, ci-contre) qui s'inquiète également des garanties de sécurité qu'apportera l'usine à l'avenir. Car elle a fait la preuve de "son impact sur l'environnement". De son côté, Jean Mazodier, président de la CEBA n'est pas franchement emballé : "Cette réunion d'information, c'est mieux que rien". Il insiste aussi sur de précédentes défaillances d'installations de l'usine.
Un point positif : la perspective d'une usine à la sécurité exemplaire
Dans cette affaire, tout n'est pas aussi noir que la liqueur corrosive échappée de la cuve. Les participants à la réunion ont demandé au sous-préfet la mise en place d'une Clis (commission locale d'information) sur l'usine Smurfit-Kappa. Ils pourraient obtenir satisfaction. Ils ont aussi beaucoup insisté pour que l'usine ne redémarre pas avant que la sécurité ne soit totale. Pour Michel Daverat, le seul point positif de la réunion est peut-être que la direction de l'usine semble prête à travailler avec les associations environnementales et tous les acteurs locaux. Et peut-être même à faire de l'usine un site éco-exemplaire sur le plan de la prévention du risque adapté à l'environnement et au patrimoine naturel exceptionnel dans lequel elle se trouve. A suivre.
Quelle justice des hommes pour la nature victime ?
Les pêcheurs, les ostréiculteurs, le CEBA et la Sepanso ont déjà déposé plainte contre l'usine et une enquête judiciaire est en cours. Selon la Sepanso, "cet accident démontre que l'installation en cause était insuffisamment contrôlée, car une cuve en bon état ne peut pas éclater. Le bac de rétention, quant à lui, était mal conçu, puisqu'il n'a pu contenir la pollution". D'autres associations envisagent également une action en justice.
Le front du refus des rejets de liqueur noire à la Salie fait le buzz sur internet via Facebook
Depuis la réunion du 20 juillet, les défenseurs de l'environnement s'organisent. Suite à un appel lancé sur Facebook le week-end du 21 et 22 juillet, une manifestation doit se dérouler à Archachon, le samedi 28 juillet, pour s'opposer aux rejets des effluents de Smurfit-Kappa à La Salie.
En attendant, depuis le 5 juillet, Ma Planète se pose elle aussi sa petite question : à quoi peut bien servir à notre patrimoine naturel de collectionner les classements destinés à le protéger : zone Natura 2000, parc naturel régional, ZNIEFF, futur parc marin... ? Moi, ça me laisse rêveuse.
Cathy Lafon
►TOUTES LES INFOS sur l'accident de l'usine Smurfit, sur le site de "Sud Ouest", avec les articles de Bernadette Dubourg :
► L'appel à la manifestation du 28 juillet à Arcachon lancée sur Facebook : Cliquer ICI