Algues toxiques : les satellites de la startup bordelaise i-Sea surveillent la « nouvelle mer des sargasses »
Les sargasses, ici en Martinique, sont des algues brunes toxiques qui polluent les rivages. Photo AFP
Naguère localisées dans le nord de l’Atlantique, les sargasses, ces microalgues brunes toxiques, se sont déplacées vers le Sud entre Amérique latine et Afrique. Depuis plus d'un an, les chercheurs se sont attaqués au phénomène et étudient cette « nouvelle mer des sargasses » aux conséquences environnementales, sanitaires et économiques très inquiétantes.
En juin et octobre 2017, deux expéditions scientifiques ont été menées à bord d’un bateau-laboratoire par les chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) de Marseille, des îles du Cap Vert aux Antilles, particulièrement frappées par l’échouage de ces algues aux émanations ultra toxiques. De son côté, i-Sea, une startup implantée en Aquitaine, à Mérignac (Gironde),qui propose des solutions d'observation et de gestion des zones littorales basées sur les technologies spatiales, apporte son précieux concours aux études conduites par les chercheurs marseillais.
Les sargasses, quésaco ?
La sargasse est une microalgue brune équipée de flotteurs naturels qui lui permettent de coloniser la surface de la mer et de s’y multiplier. Elle abrite une multitude de poissons et même d’insectes, explique Thomas Changeux, ingénieur à l’IRD affecté à l’Institut méditerranéen d’océanologie (IMO), qui a participé à ces expéditions. Mais après échouage, en se décomposant, elle dégage un gaz toxique, de l’hydrogène sulfuré, qui peut affecter l’appareil respiratoire des humains et des animaux et, à partir d’un certain niveau de concentration, attaque les métaux, détruisant aussi bien motos, voitures qu’ordinateurs.
Les Antilles en première ligne
Basé à Marseille, dans l’enceinte du site universitaire de Luminy, l’Institut méditerranéen d’océanologie travaille en réseau avec le Laboratoire des sciences de l’environnement marin (Lemar) de Brest, ainsi qu’avec des chercheurs brésiliens, américains et antillais pour comprendre l’origine de la nouvelle mer des sargasses dont les échouages sont hautement problématiques sur l’arc antillais. Depuis février 2018, ces algues arrivent en masse sur les côtes de Guadeloupe, Martinique, Saint-Martin, et de Guyane. En juin dernier, des écoles ont été fermées en Guadeloupe à Petit-Bourg, Sainte-Anne et Saint-François. L'économie et l'écologie de l'archipel sont également menacées par cette catastrophe sanitaire et économiques, un phénomène global qui affecte tout l’Atlantique nord tropical.
i-Sea, pour "prévoir et prévenir"
Sur place à Marseille, le scientifique dispose d’un herbier, d’échantillons prélevés lors des expéditions. Un volet de l’étude consiste à analyser les courants marins. "ll reste environ deux années de travail pour faire parler les échantillons prélevés", précise le chercheur. Parallèlement, une nouvelle méthode d’observation satellite a permis de gagner en précision et en efficacité. "On repère mieux les "radeaux de sargasses" (…). Ca permet de prévoir et donc de prévenir", dit-il. La startup bordelaise i-Sea spécialisée dans la télédétection satellitaire, qui a remporté le contrat annuel de surveillance des sargasses pour la Guadeloupe, identifie des bancs de sargasses à proximité des côtes guadeloupéennes. "Les analyses de ces détections, explique Virginie Lafon, directrice d'i-Sea, permettent de de déclencher l’activation, par la DEAL Guadeloupe, du service de dérive d’Hydro-cote, afin d'estimer les délais et les zones d’échouages à court-terme des radeaux de sargasses observés, sur les côtes de la Guadeloupe". Et de mieux protéger la population.
Nitrates, phosphates, surexploitation agricole, réchauffement de l’eau...
D’après les études scientifiques, le phénomène "n’est pas continu" et l’échouage des sargasses connaît des interruptions, comme en 2013. Mais à moyen terme, "il prend une ampleur globale" et l’on peut parler d'"une nouvelle mer des sargasses à partir de 2011″, estime Thomas Changeux. Le chercheur évoque plusieurs hypothèses pour l’expliquer : "les alizés et les courants font des tapis roulants" aux algues. Il y a aussi "les apports de l’Amazonie en nitrates et phosphates" avec la surexploitation agricole, voire le réchauffement de l’eau. Mais "je serai très prudent avant de responsabiliser tel ou tel pays, ou telle et telle pratique. Il faut encore beaucoup d’études pour établir des preuves. Le lien avec la déforestation et l’activité minière n’est pas clairement établi", précise encore le scientifique.
Et ce"plan de lutte nationale" promis par Hulot ?
Le 12 juin dernier, le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, s'était engagé à présenter bientôt un "plan de lutte nationale" et avait annoncé la tenue d’"événements internationaux" aux Antilles, notamment, début octobre en Martinique, sur l'angoissante problématique des sargasses. Sa récente démission, le mardi 28 août, a plongé les habitants des Antilles dans l'inquiétude : quel avenir le gouvernement d'Emmanuel Macron, qui avait décidé de débloquer 10 millions d’euros pour renforcer le ramassage de ces algues et lutter contre leur propagation, va-t-il désormais réserver aux mesures annoncées par l'ex-ministre ? L'Etat maintiendra-t-il les moyens promis pour lutter contre la peste des algues brunes ? A suivre.
Cathy Lafon avec l'AFP
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