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Loi sur l'agriculture et l'alimentation : et ce glyphosate, alors ?

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Pulvérisation de glyphosate par un agriculteur dans le nord-ouest de la France, en mai 2018. Photo AFP

Grosse déception dans les rangs des défenseurs de l'environnement et de l'écologie : ce mardi 29 mai, les députés ont rejeté plusieurs amendements en faveur de l'inscription dans la loi agriculture et alimentation de l'interdiction du glyphosate dans les trois ans.

Dont celui de Matthieu Orphelin, député LREM du Maine-et-Loire et proche du ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, qui prévoyait des dérogations possibles jusqu'en 2023, et qui a été repoussé par 63 voix contre 20. Faut-il le rappeler : classée cancérogène probable en 2015, par l’Organisation mondiale de la santé, cette substance est le principe actif du Roundup de Monsanto, dont le feuilleton de l'interdiction au niveau européen n'en finit pas de s'étirer et de rebondir.

Mais au-delà du seul recul sur l'interdiction du glyphosate, ce qui est en jeu, c'est toute la question du changement à grande échelle d'un modèle de production aujourd'hui massivement intensif et conventionnel, sans lequel l'agriculture ne pourra pas opérer sa transition écologique, nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique et pour  préserver la santé. Décryptage.

Pourquoi un tel recul ? 

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Le glyphosate est la substance active du Roundup de Monsanto. Photo archives AFP

Deux principales raisons au rejet parlementaire ont été évoquées par la majorité : l'exécutif veut s'assurer au préalable qu'il existe des solutions de substitution pour les agriculteurs. Par ailleurs, l'inscription dans la loi n'est pas nécessaire pour interdire. Gros hic : cette interdiction était une promesse d'Emmanuel Macron, formulée fin novembre dans la foulée de l'engagement ferme de la France à Bruxelles sur ce sujet, porté brillamment par Nicolas Hulot.

Certes, le président conditionnait cette interdiction à la mise en place d'alternatives non (ou moins) polluantes au produit. Mais, dans le propos d'Emmanuel Macron dont on sait qu'il pèse chacun de ses mots, 2021 était bel et bien une date butoir, au-delà de laquelle le glyphosate serait interdit dans l'Hexagone. Alternatives trouvées ou pas.

Et ce poids des lobbys sur le ministre de l'Agriculture : réalité ou théorie du complot ? 

"Le droit de chaque secteur économique, de chaque profession, de chaque groupement d'opinion, de faire valoir les arguments favorables à ses intérêts" est reconnu dans "toutes les démocraties", rappelle ce mercredi 20 mai Laurent Jauffrin, l'éditorialiste de "Libération".  Pour les industriels comme pour les syndicats, les fédérations professionnelles et aussi les ONG. "Mais là où tout se complique, poursuit-il, c'est quand les intérêts privés, par un mélange de "pressions amicales".../... interfèrent dans les débats parlementaires, orientant la discussion à leur profit". Et réécrivent en partie la loi à leur profit, en faisant retirer ou rajouter des amendements, "comme ce fut le cas pour la loi alimentation et agriculture", pointe le journaliste. 

loi agriculture et alimentation,glyphosate,pesticidesLa députée socialiste Delphine Batho, peut en témoigner. L'ex-ministre de l'Ecologie de François Hollande a dénoncé, le 24 mai, le fait que des industriels, l’Union pour la protection des plantes (UIPP), pour être précis, qui réunit des producteurs de pesticides comme Monsanto ou Bayer, avaient eu accès à son amendement d’interdiction de l’herbicide controversé glyphosate avant les parlementaires eux-mêmes. Une enquête interne n’a pas permis de déterminer l’origine de la fuite. Mis en cause, Stéphane Travert, le ministre de l'agriculture, a démenti tout lien avec les lobbys. De son côté, l’UIPP a fustigé, dans un communiqué, ceux qui "entretiennent les Français dans certains “fantasmes de complot”", démentant avoir eu connaissance de l’amendement en question avant sa publication. Pas de preuve établie, donc, de pression d'un quelconque lobby de l'agro-chimie sur le mundillo politique français, en plein travail pour élaborer une loi sur l'agriculture et l'alimentation. 

La santé florissante du secteur de l'agro-chimie

Lobbys ou pas, force est de reconnaître que, sur la question du glyphosate et des pesticides, le gouvernement a fait marche arrière. Le quinquennat Hollande nous a tellement (mal) habitués aux volte-face à répétition, que ce rétropédalage politique serait banal s'il ne constituait une exception notoire dans la méthode de gestion des réformes mise en oeuvre depuis son arrivée au pouvoir il y a un an. On espérait au moins en avoir fini avec les renoncements de l'Elysée et les manquements aux paroles données. Las. Où sont passées les vertus de la négociation et de la participation citoyenne vantées lors des Etats généraux de l'alimentation ? A moins que l'agriculture ne soit "hors négociation" et la santé, pas prioritaire. Et que le gouvernement écoute de préférence ceux des agriculteurs et des fabricants de produits chimiques qui n’entendent pas renoncer au glyphosate. Il est vrai que ces derniers engrangent des milliards d’euros de chiffre d’affaires grâce aux herbicides : l’année passée, le chiffre d’affaires mondial des herbicides s’élevait à 47,62 milliards d’euros, soit 23 milliards de plus qu’en 2007. 

"On a loupé une occasion importante"

Politiques ou associatifs, les défenseurs de l'environnement se sentent trahis. Une fois de plus. Nicolas Hulot, qui s’est dit "déçu", avait prévenu : "S'il n'y a pas de point d'étape, si l'interdiction n'est pas inscrite dans la loi, il ne se passera rien". Le ministre proteste toutefois aujourd'hui de sa confiance dans la parole présidentielle et veut croire  "le produit sera interdit dans trois ans, selon l’engagement du président". Plutôt mollement, semble-t-il.

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L'écologiste Matthieu Orphelin, député LREM, "très déçu", évoque sur Twitter "un rendez-vous manqué". De nombreux agriculteurs ont déjà changé de pratique et se sont engagé en bio, ou pas, dans une agriculture moins chimique et plus saine, pour l'environnement, l'eau et les sols, comme pour la santé des consommateurs. Et la leur. Beaucoup d'autres exploitants, sont prêts à leur emboîter le pas, expliquait-il, ce mardi 29 mai, au micro de France Info. "Mais ce n'est pas pas si simple... Ils ont besoin d'être accompagnés et soutenus. Voilà pourquoi, inscrire dans la loi l'interdiction du glyphosate était important." 

D'ordinaire plutôt lisse et flegmatique, l'ex-secrétaire d'Etat à la Biodiversité de François Hollande et ex-EELV, Barbara Pompili (LREM), ulcérée, est presque sortie de ses gonds en exprimant ce lundi soir sur France Info sa "peur" de ne pas arriver à "tenir" la promesse présidentielle "dans trois ans.

Sans surprise, Yannick Jadot, l'eurodéputé EELV, invité de la matinale de France Inter ce mardi matin, a taclé avec virulence "une loi sans courage au service des intérêts privés". On le sait, malgré la présence de Nicolas Hulot au gouvernement, son parti, quasiment disparu des écrans radars de la vie politique française avec à peine 5 000 adhérents, n'a jamais éprouvé aucune tendresse pour le macronisme. "Les députés LREM ont voté en faveur des intérêts des différents lobbys de l’agro-industrie : une mauvaise nouvelle pour les animaux, producteurs et consommateurs et qui confirme – si besoin était – l’absence de courage de ce gouvernement. En France, en 2018, notre santé est bradée avec le renoncement et l’enterrement d’un engagement présidentiel : l’interdiction du glyphosate d’ici 2020", condamnent sans appel les porte-paroles d'EELV dans un communiqué.

L'amertume des ONG et de la société civile

"Un déni de parole donnée"

Côté ONG, où l'on a vraiment joué le jeu de la participation et où l'on s'est beaucoup investi dans la bataille, la déception est immense. Pour les 34 organisations de la société civile (1) qui ont lancé, la semaine dernière, une pétition pour que l'engagement du Président soit tenu et qui a recueilli déjà plus de 200 000 citoyens appel, "ce vote et la position du gouvernement sont un déni de parole donnée". Pour les défenseurs de l'environnement, la question de l'interdiction du glyphosate ou celle de la sortie des pesticides, n'est pas une affaire de dogmatisme, mais bien de protection de la santé humaine

A commencer pour Générations futures. Scandalisée du rejet par les députés d'un amendement du gouvernement qui visait à prendre des mesures de protection des riverains vis-à-vis des pesticides épandus à proximité des habitations, l'association reproche au ministre de l'Agriculture, Stéphane Travert, de s'être" couché devant les députés Les Républicains". "Les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Nous on préfère les faits, et force est de constater que factuellement l'interdiction des produits contenant du glyphosate ne sera pas inscrite dans la loi", écrit son président François Veillerette, dans un communiqué.

"Poudre de perlimpinpin !"

Très remontée, l'ONG rappelle que trois nouvelles études scientifiques indépendantes, conduites dans le cadre de la phase pilote d’une grande Etude Globale sur le Glyphosate (2) par l'Institut Ramazzini, viennent encore de souligner la dangerosité du glyphosate, à des doses pourtant considérées comme sûres par des Agences de la santé. "Alors que les consensus obtenus lors des ateliers sur les EGA à la fin 2017 promettaient de réelles avancées, quasiment aucune d’entre elles n’a été reprise dans ce projet de loi. A quoi bon ces 35 000 heures de mobilisation et de travaux pour accoucher d'une souris et ignorer les conclusions partagées par une majorité d'acteurs ?", s'interroge Générations Futures, pour qui la loi adoptée ce mercredi n'est que de la poudre de perlimpinpin. Un clin d'oeil au candidat Emmanuel Macron, qui avait employé l'expression lors du débat télévisé qui l'avait opposé à Marine Le Pen, pour le second tour de la présidentielle 2017. Histoire de rappeler à l'actuel président que s'il est aujourd'hui à l'Elysée, c'est aussi parce qu'il avait su lever chez certains écologistes quelques espoirs de réels changement de méthode.

"RDV manqué par le gouvernement"

"La loi doit au minimum installer une base légale pour une future interdiction du glyphosate, pour crédibiliser le plan d'action de sortie", avait jugé auparavant Pascal Canfin, directeur général du WWF. "La sortie du #glyphosate d'ici 3 ans ne sera pas inscrite dans la loi, l'@AssembleeNat a rejeté cette nuit les amendements déposés en ce sens. C'est un RDV manqué par le gouvernement. #LoiAlimentation #EGAlim", a posté hier l'ONG sur son compte Twitter. Dépitée.

"Recul incompréhensible, irresponsable et scandaleux"

Sur les réseaux sociaux, Greenpeace condamne pour sa part un "Recul incompréhensible, irresponsable et scandaleux du gouvernement sur le #glyphosate". "Le glyphosate, écrit l'ONG, n'a pas d'avenir à terme, il faut une porte de sortie urgente pour les agriculteurs et une transition vers un modèle d'agriculture plus écologique et responsable." Le recul du gouvernement dans l'élaboration de la loi agriculture et alimentation est d’autant plus inacceptable, poursuit l'organisation, que, là encore, l’attente dans la population est massive : 400 000 personnes ont, par exemple, signé plusieurs pétitions demandant l’interdiction du glyphosate et des millions d’autres se prononcent pour la réduction des pesticides.

Un objectif toujours à l'ordre du jour ?

"L’objectif affiché d’une sortie de l’herbicide dans les trois ans reste à l’ordre du jour", se sont chargés de rappeler Richard Ferrand ou encore Nicolas Hulot. Mais il se voit donc bien mis à mal. Quant à la parole présidentielle, n'en déplaise à Richard Ferrand, qui s'est fendu d'un argument surréaliste devant les députés : "Le président l’a promis [l'interdiction du glyphosate], ce n'est pas la peine de le mettre dans la loi", autant qu'on lui fasse confiance, elle ne saurait avoir force de loi. Sauf à ne plus être dans un régime démocratique, ce qui, bien sûr, n'est pas le cas. 

On peut comprendre la colère des ONG, des défenseurs de l'environnement et de la société civile. Si tout n'est pas à jeter dans la loi agriculture et alimentation adoptée en première lecture ce mercredi, et qui comporte au demeurant quelques petites avancées, on ne peut que le constater : après un an de concertation et des milliers d'heures de travail et de palabres, c'est encore la protection de l'environnement et de la santé du consommateur qui ont perdu le bras de fer contre l'industrie agro-alimentaire. Une fois de plus. Dans un "débat" arbitré par des politiques qui, également une fois de plus, ont montré qu'ils maîtrisaient à merveille l'art du rétropédalage sur certains sujets parmi les plus dérangeants de l'écologie.

Quant aux alternatives au glyphosate, qu'elles soient mécaniques ou naturelles, elles existent. Tous les jours, les 36 664 paysans engagés en bio dans le  pays, démontrent qu'une agriculture sans pesticides ni herbicides chimiques, ni même OGM, c’est bien entendu possible. Et que l'on peut en vivre dignement. Une chose est sûre, on est aujourd'hui dans le dur et il faut faire des choix. La seule question du glyphosate ne doit pas masquer la réalité : sans changement à grande échelle de modèle de production, encadré et accompagné par l'Etat, l'agriculture ne pourra pas opérer sa nécessaire transition écologique, inscrite déjà par ailleurs dans de multiples lois. Les limites du séduisant "en même temps"...

Cathy Lafon

(1) Organisations signataires : foodwatch, Générations Futures, Greenpeace, FNH, Agir pour l'Environnement, Les Amis de la Terre, Justice Pesticides, LPO, Fédération Artisans du Monde, ATTAC France, UFC-Que Choisir, Confédération Paysanne, Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l'Ouest, Bio Consom'acteurs, Bloom, Réseau Environnement Santé (RES), Terre d'abeilles, Syndicat National d'apiculture, Solidaires, Miramap, Commerce équitable France, Union Nationale de l'Apiculture Française, WeMove.eu, WECF, La Ligue contre le cancer, Alerte des médecins sur les pesticides, Réseau Action Climat, CCFD-Terre-Solidaire, France Nature Environnement, WWF, CFSI, Terre & Humanisme, SOL, Alternatives Agroécologiques et Solidaires, CCLV, WeMove, Power Foule, SumOfUs, Slow Food, Mouvement de l'Agriculture Bio-Dynamique.

(2) Cette étude pilote est basée sur le suivi de rats exposés à une dose journalière d’herbicide à base de glyphosate équivalente à la Dose journalière admissible américaine de 1,75 mg/kg/jour. Elle s’est concentrée sur le suivi de rats nouveaux nés, de jeunes et d’adolescents. Elle a impliqué la participation de multiples institutions et universités tant en Europe qu’aux USA.

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