La justice climatique, ça veut dire quoi ?
Photo "Our Children’s Trust"
Une dizaine de familles de huit pays se disant déjà victimes déjà des effets du dérèglement climatique, jugent que l'Europe n'en fait pas assez en la matière et ont déposé plainte ce mercredi contre l'UE pour sa politique climatique "insuffisante", afin d'obtenir que l'UE réduise plus ses émissions de CO2. Leur plainte a-t-elle des chances d'aboutir ? Y a-t-il des responsables du réchauffement ? Qui doit payer pour les impacts ? Et les droits de la nature, dans tout ça ? Les dérèglements climatiques se faisant de plus en plus sentir, les "victimes" mettent désormais en avant la notion de "justice climatique". Mais de quoi parle-t-on ? Quatre questions pour faire le point.
1. Un peu d'histoire
"Inégalités Nord-Sud"
L'idée de "justice climatique" émerge au début des années 2000, portée par des mouvements citoyens qui dénoncent les inégalités entre populations du Nord et du Sud face aux effets du réchauffement mondial. Les ONG insistent sur le droit de tous, en particulier des plus vulnérables, à une planète en bonne santé. Après un premier "sommet" de la société civile sur ce thème en 2000 à La Haye, une coalition d'ONG adopte, en 2002, 27 "grands principes de la justice climatique": "dette écologique" des pays industrialisés et des multinationales, "responsabilité" judiciaire des industries pétrolières et minières, "indemnisation" des "victimes"...
Les dirigeants des pays du Sud s'emparent du concept. Et en 2015, l'Accord climat de Paris, adopté sous l'égide de l'ONU, note dans son préambule "l'importance pour certaines (communautés) de la notion de "justice climatique" dans l'action menée face aux changements climatiques".
2. Devant les tribunaux
"Les recours en justice se multiplient"
En parallèle aux discussions diplomatiques s'est développée une approche juridique. Selon une évaluation du Grantham Research Institute on Climate Change de Londres publiée en avril dernier, il existe plus de 1 500 lois dans le monde liées au réchauffement, soit plus de 20 fois plus qu'en 1997. Tous les signataires de l'accord de Paris en ont au moins une. Et les recours en justice se multiplient. Avant l'annonce de la plainte contre l'UE, Grantham répertoriait plus de 270 affaires se référant au climat dans 25 juridictions, hors Etats-Unis où le contentieux atteint plus de 800 cas.
3. Qui les plaignants visent-ils ?
Les plaignants visent souvent des gouvernements mais aussi des entreprises. Trois exemples. Aux Pays-Bas, en 2015, un tribunal saisi par l'ONG Urgenda et 900 citoyens, ordonne à l'Etat de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le pays de 25% d'ici à 2020. Une première victoire historique. Un procès en appel est prévu prochainement.
En Allemagne, en novembre 2017, la justice accepte d'examiner la requête d'un paysan péruvien, Saul Luciano Lliuya (ci-contre), qui veut contraindre le géant de l'énergie RWE à réparer les effets du changement climatique dans les Andes. Aux Philippines en 2015, des victimes de typhons et des ONG saisissent la Commission sur les droits de l'Homme du pays contre 47 multinationales (Shell, ExxonMobil, Chevron...). L'enquête de cette institution indépendante est en cours.
Aux Etats-Unis en 2015, une vingtaine d'enfants et adolescents déposent avec l'association Our Children's Trust un recours devant un tribunal de l'Oregon, réclamant au gouvernement de baisser de manière significative les émissions de CO2. Ils estiment que leurs "droits constitutionnels" à la vie, la liberté et la propriété ont été violés. Un procès est prévu fin octobre 2018.
3. Quelles responsabilités et quelles compensations ?
"La nécessité d'éviter les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques"
L'article 8 de l'accord de Paris reconnaît "la nécessité d'éviter les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques". Mais la décision l'accompagnant précise que cela ne peut servir de fondement "à aucune responsabilité ni indemnisation". Les pays du Sud n'ont pas pour autant abandonné leurs revendications sur ce sujet ultra-sensible.
Dans le cadre judiciaire, des questions se posent aussi: quelle causalité entre un effet néfaste et les émissions d'un Etat ou d'une entreprise ? Comment répartir les responsabilités pour estimer d'éventuelles compensations ? Une étude publiée en 2014 dans la revue en ligne Climatic Change esquisse une piste en quantifiant les émissions de CO2 et de méthane d'une centaine de grosses entreprises pétrolières, minières et de cimentiers depuis la période pré-industrielle.
Une autre étude publiée en novembre dernier dans la revue Nature assure que "les récentes avancées scientifiques rendent possible l'attribution d'événements" météorologiques extrêmes au changement climatique, et permettent donc de déterminer des responsabilités "au niveau des Etats". Mais beaucoup de plaintes réclament des actes, et non des indemnités...
4. Donner des droits à la nature pour protéger aussi les hommes
Inversement, on peut aussi s'interroger : la nature, victime elle aussi du réchauffement climatique a-t-elle des droits ? Donner préventivement un prix à la nature, comme on l'a vu en Australie, pour sauver la Grande barrière de corail, contribue-t-il vraiment à sa protection ? Donner ou plutôt reconnaître, comme pour la vie humaine, une valeur intrinsèque, non monétisée, à la nature qui n'est pas l'esclave des êtres humains et a le droit d’exister pour elle-même, ainsi que le réclame la juriste en droit international Valérie Cabanes, auteure du passionnant essai "Un nouveau droit pour la Terre" (Seuil) qui définit la notion d'écocide (le crime de destruction de ce qui est nécessaire à l'humanité pour exister), ne serait-il pas plus pertinent ? Pour la survie de la biodiversité mais aussi de l'humanité elle-même ? Essentielle, la question qui s'impose peu à peu dans le droit international contribue aussi à protéger la santé humaine.
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