Vu chez nos voisins. Les vélos-cargos à la conquête des villes allemandes
En 1946, à Bordeaux, les postiers livraient déjà le courrier à bord de vélos-triporteurs, rebaptisés aujourd'hui vélos-cargos. Archives "Sud Ouest"
Chargés d’enfants ou de colis, les vélos-cargos qui s'invitent de plus en plus dans les rues de l'Hexagone, se taillent désormais une place croissante dans les villes allemandes, portés par une multitude d’initiatives destinées à lutter contre la pollution et bousculer l’hégémonie des voitures et camionnettes. Le scandale du diesel a contribué à doper en Allemagne ce mode de transport aussi ancien que les deux roues, qui consiste à équiper sa bicyclette de façon à pouvoir transporter à vélo les charges les plus variées.
Le premier marché européen
Très courants en France et Europe du Nord jusqu’au milieu du XXe siècle, ces engins équipés d’une vaste caisse qui livraient pain, lait, courrier et journaux ou ramenaient des vivres de la campagne pendant la guerre, ont été balayés en quelques décennies par la motorisation. Leur retour, depuis une vingtaine d’années, s’est d’abord limité aux Pays-Bas et au Danemark – bastions cyclistes plats et sillonnés de pistes – avant de gagner l’Allemagne, désormais considérée par les professionnels comme le premier marché européen en volume.
Des familles aux entreprises
"Dans les années 1990, c’était déjà beau d’en vendre un par an. Puis on a vu de plus en plus d’intérêt, d’abord des familles puis des entreprises", raconte Gaya Schütze, du magasin de vélos Mehringhof, l’une des pionnières du vélo-cargo à Berlin. Il est vrai que dans l’intervalle, les engins ont fait leur révolution technique. Les lourds et rustiques cadres acier propulsés à la seule force des mollets se sont doublés d’une multitude de modèles plus légers ou spacieux, tandis que l’assistance électrique étendait l’expérience aux terrains vallonnés et à toutes les aptitudes physiques. Ce qui a permis de toucher un public plus large, familial voire féminin et pas forcément sportif, qui n'arrive plus en sueur au boulot après avoir déposé ses enfants à l'école.
Une alternative efficace et non polluante à la voiture
Signe des temps et du du bouillonnement du secteur, les vélos-cargos ont même leur Salon international, à Berlin auquel participent désormais une cinquantaine de jeunes marques. Le dernier décompte du projet européen Cyclelogistics relevait 174 types de cargos. Les experts promettent à ces triporteurs de luxe un avenir radieux en ville. Ils offrent en effet une solution efficace et non polluante dans les cas où la voiture paraît indispensable, tout en permettant à leurs utilisateurs d'échapper aux bouchons, aux problèmes de stationnement et aux possibles restrictions de circulation.
Le frein du coût
« Dans les villes européennes, la moitié des trajets motorisés destinés au transport de charges pourraient être effectués à vélo », calculait dès 2014 Karl Reiter, coordinateur du projet Cyclelogistics, en prenant en compte les parcours de moins de 7 kilomètres avec moins de 200 kg à bord. Reste que « le cheval de trait du XXIe siècle », selon le quotidien Frankfurter Rundschau, n’a pas encore conquis les foules: seuls 1% des Allemands en possèdent un, alors que 61% en ignorent l’existence, relativisait en mars une étude du ministère des Transports. Parmi les freins au développement du vélo-cargo, son prix : 1 300 à 5 000 euros selon les modèles.
De multiples aides financières
D’où la multitude d’initiatives, sur fonds publics ou sur dons, pour faire découvrir ces engins gratuitement. Pour la seule ville de Berlin, 150 entreprises bénéficient depuis mai 2017 de cargos prêtés dans le cadre du programme Velogut, tandis que les particuliers peuvent en réserver en ligne. Outre les coursiers déjà familiers des cargos, parmi les premiers conquis figurent des artisans, photographes, vendeurs de café ou de petits pains, fleuristes, cavistes, ramoneurs, apiculteurs, livreurs de sapins de Noël, soigneurs du zoo et même un anesthésiste ambulant. Parallèlement, l’État allemand verse depuis le mois de mars jusqu’à 2 500 euros pour l’achat d’un gros cargo à assistance électrique, tandis que la ville de Berlin vient d’annoncer ses propres subventions, de 500 à 1 000 euros selon les modèles.
"On ne doit pas risquer sa vie à vélo"
Mais l’étape décisive, s’accordent les spécialistes, concerne les infrastructures: seule une minorité de familles ou d’entreprises franchira le pas sans pistes cyclables, stationnements sécurisés et réparateurs faciles à trouver. "Si l’on veut un air pur, il faut nous protéger. On ne doit pas risquer sa vie à vélo", résume Antje Merschel, l’une des initiatrices du récent référendum berlinois sur la politique cyclable.
Pour les professionnels de la logistique, la donne est plus complexe. Même si des entreprises de livraisons de colis qui ont pignon sur rue, comme UPS, ont constitué depuis 2012 des flottes étoffées, la production de vélos-cargos demeure largement artisanale. Et donc chère. "Pour les familles, les véhicules sont prêts et fiables. Mais pour la cyclo-logistique, on est en train d’apprendre et les coûts de maintenance sont élevés ", reconnaît l’urbaniste Francisco Luciano, actionnaire du constructeur français Douze Cycles, créateur de vélos-cargos. Pour lui, cette effervescence est aussi "nécessaire" que "typique d’une industrie naissante" : dès que le marché intéressera les grands groupes, les producteurs artisanaux se feront racheter, pronostique-t-il.
Cathy Lafon avec l'AFP
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