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Fongicides et cancer : après l'alerte des scientifiques, celle de Générations Futures

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Les fongicides SDHi, largement utilisés dans l'agriculture, sont-ils dangereux pour la santé humaine ? Photo AFP

Après l’alerte des chercheurs sur la dangerosité des fongicides, cette classe de pesticides destinés à lutter contre les champignons et moisissures, et utilisés sur de nombreuses cultures, l'ONG Générations Futuresinquiète de leur omniprésence dans notre environnement, réclame des mesures de retrait des autorisations au niveau national et européen.

De quoi parle-t-on ?

Mi-avril 2018, des chercheurs de l’INSERM, du CNRS et de l’INRA ont alerté sur la dangerosité pour l’homme d’une classe de fongicides, les SDHi (inhibiteurs de la succinate déshydrogénase). Ces fongicides sont très largement utilisés en agriculture. En France, en 2014, ce sont ainsi plus de 70% des surfaces en blé qui ont été traitées avec ces produits. Leurs fabricants, parmi lesquels les géants de l'agrochimie Monsanto, Bayer, BASF, Syngenta, Du Pont, Mistsui ou encore Chemtura AgroSolution, assurent que ces fongicides inhibent spécifiquement l’activité de cette enzyme dans les moisissures. Mais des scientifiques français à l’origine d’une publication scientifique et d’une tribune dans Libération ont sonné l’alarme car, selon leurs travaux, ces fongicides bloquent également l’enzyme humaine

Mode d'action atypique

Le blocage de cette enzyme conduit à l’accumulation d’une petite molécule, le succinate. Celle-ci peut entraîner à long terme, un changement de la structure de notre ADN : ce sont des phénomènes de modifications épigénétiques. Pour ces chercheurs, cela peut avoir comme conséquence l’apparition d’encéphalopathies sévères et même de certains cancers du rein ou du système digestif. Ces modifications, contrairement aux mutations, ne sont pas détectées, ni testées, au cours des tests de toxicité conduits avant la mise sur le marché des pesticides.

Le boscalide, un SDHi très (trop) présent

Suite à la publication des travaux des scientifiques, Générations Futures s’est questionnée sur l’exposition de la population à ces fameux SDHi. Leurs travaux révèlent aujourd’hui un autre aspect du problème : l’exposition importante de la population au fongicide SDHi le plus utilisé : le boscalide (ou boscalid). Le boscalide est une substance active issue de la recherche BASF, autorisée dans l’UE depuis 2008 jusqu'à fin juillet 2018. Sa dangerosité n'ayant pas été révélée jusque là, il n'était classé ni comme perturbateur endocrinien ni comme cancérigène, car son mode d'action est atypque, explique François Veillerette, le directeur de l'ONG. En France, on le trouve dans une douzaine de produits commercialisés ayant une Autorisation de mise sur le marché (AMM). Il est ainsi autorisé sur les crucifères oléagineuses (plantes herbacées cultivées pour produire de l'huile), le blé, l’avoine, l’orge, le seigle, le tournesol, les pommiers, les amandiers, les cerisiers, les asperges, la carotte, les fraisiers, la laitue, etc. 

Eau, air, alimentation : le fongicide SDHi est partout

Les enquêtes de l'organisation ont révélé qu’on retrouve ce fongicide SDHi absolument partout dans notre environnement. Il est d'abord présent dans les eaux de surface. Rien de plus normal : en 2013, le boscalide était le 8e pesticide le plus fréquemment quantifié, dans les eaux souterraines c’était le 12e (sources : données publiées sur le site du ministère de la Transition écologique et solidaire, en 2015).

On le respire aussi dans l’air. Selon l'étude "Air Paca, Mesures du Glyphosate dans l’air : étude exploratoire en région PACA", datée de novembre 2017, le boscalide était l'un des deux fongicides les plus quantifiés dans l’air dans la région Alpes Côte d'Azur en 2016. Dans l’Isère aussi, c’est l'un des pesticides les plus retrouvés dans l’air, pointait Atmo Auvergne Rhône Alpes en 2015.

Enfin et surtout, présent dans nos assiettes, le boscalide pollue aussi nos aliments. Selon un rapport de l'EFSA (l’Autorité européenne de sécurité des aliments, données 2017), ce fongicide est le résidu de pesticides chimiques le plus fréquemment quantifié dans les aliments au niveau européen. On le retrouve dans presque 10% des recherches le ciblant, tous aliments confondus.  Dans les enquêtes que Générations Futures a pu mener précédemment sur la présence des pesticides dans notre alimentation, notamment en 2013 et 2016, et dans lesquelles elle s'est replongée, (analyses de fraise, salades ou muesli), ce résidu chimique ressort très fréquemment.

Refuser la ré-homologation du produit

Dans un courrier au ministre de l'Ecologie, Nicolas Hulot, et à ses collègues de la  Santé, et de l'Agriculture, sur la base des travaux des scientifiques, l'ONG met en garde sur les dangers et l'omniprésence des des fongicides SDHi et demande à "l’Anses (l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) de suspendre immédiatement les autorisations de mise en marché des produits contenant du boscalide et autres SDHis, à titre conservatoire", tant qu'une estimation des dangers de la substance n'aura pas été faite par des organismes publics et indépendants des industriels. 

Générations Futures demande également que "la France fasse usage de la clause de sauvegarde prévue au niveau européen pour faire obstacle à l'entrée d’aliments traités avec des substances de cette famille chimique et demande une révision communautaire de l’homologation de ces substances actives SDHi". Enfin, l'autorisation du boscalide arrivant à son terme le 31 juillet de cette année, François Veillerette, le directeur de l'ONG, voudrait que la France en profite pour "s’opposer à sa ré-homologation".

 « Pseudo-études » ? 

 « Comme l’ensemble des substances actives phytopharmaceutiques, les SDHI ont fait l’objet, avant leur approbation au niveau européen et la mise sur le marché par les États membres des produits les contenant, d’une évaluation de leur toxicité pour les mammifères (dont génotoxicité et cancérogénicité), ainsi que des risques potentiels que présentent leurs usages. » L'Anses

Va-t-on vers une nouveau scandale sanitaire majeur et une bataille à l'échelle européenne, comme celle du glyphosate, l'herbicide ultra-contesté ? Les industriels et les producteurs, dont le collectif "Sauvons les fruits et légumes" et la firme BASF, dénoncent des attaques « sans aucun fondement scientifique » et veulent s'en remettre aux autorités sanitaires. De son côté, l’Anses, qui se veut rassurante, n'a pas tardé à réagir en annonçant qu'elle allait mettre en place un groupe d’experts chargé d’auditionner les chercheurs auteurs de l’alerte, et d’examiner les éléments évoqués au regard de la littérature scientifique et des données issues de la phytopharmacovigilance. Afin d'évaluer si des éléments nouveaux doivent être portés au niveau européen et, si nécessaire, de prendre toute mesure de gestion des risques qui apparaîtrait appropriée.

On regrettera toutefois que la demande de financement des scientifiques pour poursuivre leurs travaux sur l'étude des dangers potentiels de ces fongicides n'ait pas été retenue par l'agence française. A suivre.

Cathy Lafon

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