Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Vidéo : "La supplication", ou l'innommable douleur des mots de Tchernobyl

la supplication le film.jpg

Le 26 avril 1986, la centrale nucléaire de Tchernobyl explosait en Ukraine. A l'occasion du 32e anniversaire de la pire catastrophe nucléaire de l'Histoire, n'hésitez pas à voir ou revoir le film "La supplication", une adaptation cinématographique inspirée et poignante du livre éponyme de Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature 2015 (à lire ou à relire), sorti dans les salles en novembre 2016. 

Réalisé par le cinéaste luxembourgeois Pol Cruchten, ce film documentaire, diffusé en avant-première sur Arte en septembre dernier, porte à l'écran le chef d'oeuvre de l'écrivaine biélorusse, écrit à partir des récits de victimes de l'apocalypse nucléaire de Tchernobyl. Alors que Tchernobyl est devenue aujourd'hui un spot touristique attractif en surfant sur la peur, la splendeur de ses images d'une beauté terrifiante, fait résonner l'universalité de leurs mots.

Tchernobyl, une catastrophe sans fin

Survenu dans la nuit du 26 avril 1986, à 1h23, suite à une erreur humaine lors d'un test d'alimentation électrique, une série d'explosions détruit le réacteur 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine), rejetant dans l'atmosphère 50 millions de radionucléides, une quantité massive phénoménale de particules radioactives. L'accident de la centrale soviétique Lénine, a été classé au niveau 7 sur l'échelle internationale des événements nucléaires, comme Fukushima en 2011. Il a fallu dix-huit jours pour éteindre le coeur du réacteur en fusion. Après les pompiers dépêchés sur le site, quelque deux cent quarante mille ouvriers "liquidateurs" venus de toute l'URSS ont travaillé sans protection adéquate à la décontamination des terrains. Des dizaines de milliers en sont morts, ou sont restés gravement handicapés.  

Un désastre à l'échelle nationale

En quinze jours, 15 milliards de milliards de becquerels (soit 30.000 fois les rejets des installations nucléaires dans le monde en un an) vont contaminer principalement la Biélorussie (70%), l'Ukraine et la Russie, mais aussi la Norvège et de nombreuses autres régions d'Europe et du monde, de façon plus ou moins importante. Tchernobyl reste la plus grande catastrophe technologique mondiale du XXe siècle et, pour la petite Biélorussie voisine et ses 10 millions d'habitants, un désastre à l'échelle nationale. En 1997, un Biélorusse sur cinq vivait dans une région contaminée, soit 2,1 millions de personnes, dont 700 000 enfants. Dans les régions de Gomel et de Moguilev, particulièrement affectées par la radioactivité, la mortalité était supérieure de 20% à la natalité... Le 29 novembre prochain, trente ans après l'explosion, le réacteur 4 devrait être enfin coiffé d'un sarcophage géant censé confiner la radioactivité durant un siècle. Construit à 300 mètres de la centrale nucléaire ukrainienne, ce gigantesque hangar d’acier de 36.000 tonnes, la plus grande structure mobile jamais construite, aura coûté 1,6 milliard de dollars (environ 1,5 milliard d'euros). Une fois qu'il sera installé, des opérations de démantèlement robotisées pourront enfin commencer.

Chronique du monde après l'apocalypse

la supplication le livre.jpgComme dans le livre de Svetlana Alexievitch, les voix des victimes de Tchernobyl que l'on entend dans le film sont plurielles. Scientifiques, enseignants, journalistes, enfants, couples amoureux, liquidateurs, militaires, veuves.. Chacun évoque ce que fut son quotidien, puis la catastrophe qui a brisé sa vie et celle des êtres qui lui sont chers. Une femme pleure à jamais son époux, emporté par un cancer atroce. Un garçonnet leucémique se demande s'il va vivre, et comment. Un ancien responsable de la filière nucléaire soviétique est hanté par le "crime" commis par sa hiérarchie, qu'il a appelée en vain à protéger la population. D'autres ont perdu une petite fille, un père, ou élèvent un enfant gravement handicap... C'est à partir de leurs témoignages et de dizaines d'autres, recueillis en 1996, dix ans après l'accident, que l'écrivaine a composé une bouleversante méditation sur la souffrance, la dignité, l'abnégation et la résistance humaines. Depuis, certains sont morts des suites de la radioactivité. Difficile à mettre en images... Pol Crutchen a relevé le défi de manière radicale et artistique: des tableaux se succèdent, tandis que des comédiens hors champ lisent tour à tour des passages du livre, respectant à la virgule près la parole de celles et ceux que la nuit du 26 avril 1986 a transformés à jamais.

 "Un mystère qu'il nous faut encore élucider"

la supplication le film 2.jpgLes paysages, urbains et bucoliques, qui entourent la centrale à l'arrêt, empoisonnés pour des millénaires par la radioactivité, sont filmés dans la pleine lumière de l'été. La paix intemporelle de leurs images adoucit et amplifie à la fois la douleur de ce récit polyphonique, dont les voix forment une longue supplication, terrifiante, qui dépasse les frontières. "L'événement en soi ne m'intéressait pas. Je m'intéressais aux sensations, aux sentiments des individus qui ont touché à l'inconnu. Au mystère. Tchernobyl est un mystère qu'il nous faut encore élucider", a écrit Svetlana Alexievitch à propos de son livre. Puissante évocation au-delà du réel de la tragédie intime et collective que représente la plus grande catastrophe technologique de l'histoire de l'humanité jusqu'à Fukushima, le film de Crutchen ne parle pas non plus seulement de Tchernobyl, mais de notre lien à la nature, de la peur ou de la foi en l'avenir, de la croyance et de l'amour.

Ainsi, "La Supplication" nous amène à nous interroger sur notre condition, sur le sens de la vie humaine et de notre existence sur Terre, mais aussi sur ce que l'homme a appris, deviné et découvert sur lui-même. Si, comme le livre, le film, volontiers onirique, parle du « monde de Tchernobyl », cette réalité parallèle où « la frontière entre le réel et l'irréel s'évanouit », c'est surtout de nous-mêmes qu'il parle. Car au juste, qu'avons-nous appris de Tchernobyl ? L'impensable, le désastre absolu, une autre fin d'un monde avec ses certitudes se sont reproduits en mars 2011, au Japon, à Fukushima. En cela, ce film est aussi cathartique que terrible et nécessaire. Comme les larmes qu'il fait couler.

Cathy Lafon

►A SAVOIR

  • "La supplication", le film de Pol Cruchten (1h26 min), a été sélectionné par la Commission nationale de sélection pour les Oscars pour représenter le Luxembourg à la 89e édition des Academy Awards dans la catégorie «du meilleur film en langue étrangère». Depuis sa sortie, le documentaire a reçu trois prix internationaux: le prix Cora Coralina du Festival Internacional de Cinema é Video Ambiental (FICA) au Brésil, le Grand Prix du Festival international du film d’environnement (FIFE) à Paris et le Prix du meilleur documentaire du Minneapolis St. Paul International Film Festival aux États-Unis.

A LIRE

  • "Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse", Svetlana Alexievitch, en livre de poche, collection J'ai Lu.

►LIRE AUSSI

Les commentaires sont fermés.