La faim de loup de la grande distribution inquiète la bio, en pleine crise de croissance
Ces tomates estampillées du label AB (Agriculture Biologique), récoltées hors de France et vendues hors saison sur un marché à Nantes le 22 décembre 2017, sont elles vraiment "bio" ? Photo AFP
C'est le grand boom du marché du bio : entre 10 à 20 % d'augmentation par an depuis 1999. Une vague verte et saine désormais potentiellement juteuse, sur laquelle la grande distribution entend bien surfer à fond.Carrefour annonce la multiplication de son chiffre d'affaires dans le secteur d'ici quatre ans tandis que Leclerc se lance dans les magasins spécialisés. Les unes après les autres, les grandes enseignes multiplient les mètres linéaires de leurs rayons bio et veulent créer leur propre marque.
Une dynamique qui profite au secteur mais aussi et surtout aux consommateurs, restés trop longtemps sur leur faim de bio, en démocratisant notamment un marché dont les prix se mettent enfin à la portée de toutes les bourses. Mais pour la bio, il y a un hic. Et un gros : l'offre hexagonale ne suit pas. Certes, près de 20 % des agriculteurs sont en "démarche bio" sans en avoir le label, comme le décrit Frédéric Denhez dans son dernier et excellent livre "Le Bio, au risque de se perdre", qui alerte sur la crise de croissance de la bio. Mais cette dernière n'est portée que par seulement 6% de la surface agricole française, rappelle le journaliste spécialiste des questions environnementales.
Il faut sauver la bio
Dans une tribune publiée "Le Monde" daté du samedi 24 février à l'occasion du Salon de l'Agriculture, Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) tire elle aussi la sonnette d'alarme et met en garde contre l’emballement des acteurs de la grande distribution sur le marché des produits bio et "la construction d'une bulle marketing bio".
"Avec une croissance à deux chiffres, le marché bio progresse plus vite que le nombre de fermes bio et attise les convoitises de ceux qui, il y a quelques années à peine, ne voyaient aucun avenir pour la bio et ne juraient que par les OGM et les pesticides", écrit-elle. Avec le risque de le voir dériver vers des pratiques contraires voire incompatibles avec l'esprit et la philosophie de la bio, qui a comme objectifs la garantie d'une alimentation saine et goûteuse, le maintien du revenu des agriculteurs, la protection de la nature et des paysages, la préservation des ressources du sol et du bien-être animal. "Le temps de l’agriculture biologique, basé sur les cycles naturels, l’agronomie, la connaissance du vivant et du territoire auquel il appartient, n’est pas le temps court du marketing", résume-t-elle.
Qualité du label et confiance des consommateurs
Au coeur de l'épineux problème auquel la bio est confrontée : la double question de la qualité du label bio et de la confiance des consommateurs dans des produits alimentaires perçus comme plus sains que ceux qui sont issus de l'agriculture conventionnelle, car délivrés de la pollution par les produits phytosanitaires chimiques. Car le modèle de la grande distribution, dans les starting block pour faire ses choux gras de la bio, c'est celui de l'élevage et des cultures intensives, qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs. Or la bio, ce sont certes des produits alimentaires obtenus sans pesticides chimiques, mais aussi et peut-être même avant tout "issus d'une agriculture de qualité et locale, respectueuse des gens (agriculteurs et consommateurs) comme de l'environnement", comme le rappelle fort justement dans son ouvrage Frédéric Denhez. "Des élevages de 24 000 poules pondeuses où le parcours extérieur, s’il est rendu possible, n’est jamais effectif, et où l’alimentation des volailles ne pourra pas être assurée par une production sur la ferme, représentent des menaces réelles pour la qualité de notre label, pour la confiance des consommateurs mais aussi pour la survie de nos fermes", pointe pour sa part Stéphanie Pageot.
"La bio en danger"
Après des décennies de galères, devenue ultra-tendance, la bio n'est plus étiquetée ringarde et peut rapporter gros. Mais elle court désormais le risque de tomber dans les erreurs de l'agriculture conventionnelle. Ce qui fait dire à Frédéric Denhez que, victime de son succès, "la bio est en danger". Dénonçant les menaces qui pèsent sur le label AB, la présidente de la FNAB exhorte, elle, le secteur à rompre avec les "discours angéliques sur le développement de la bio" et appelle à la mobilisation de tous les acteurs politiques et économiques pour la mise en œuvre avec la filière bio d’un "nouveau projet agricole et alimentaire riche de sens pour les citoyennes, ancré dans les territoires, vivable et enviable pour les paysannes et pour les entreprises".
"Une économie de massification de l’offre" pour "faire rimer assiette avec planète"
Afin de résoudre la quadrature du cercle en permettant à l'agriculture bio de se développer tout en répondant à la demande pressante et croissante des consommateurs, elle doit rentrer dans "une économie de massification de l’offre en gardant sa cohérence et sa viabilité technique et économique pour ne pas revivre les erreurs du conventionnel". Pour y parvenir, Stéphanie Pageot, fait trois grandes préconisations : "renforcer le cahier des charges de l'agriculture bio" pour "faire du label français AB un label mieux-disant que le label européen Eurofeuille, sur lequel il est aujourd’hui aligné" ; "former sérieusement et continuellement les producteurs et productrices aux méthodes de l’agriculture biologique et les accompagner techniquement, économiquement mais aussi commercialement pour qu’ils puissent maîtriser leurs coûts de production et garder la valeur ajoutée créée". Et enfin, "repartir sur des bases de contractualisation commerciale saines qui permettent aux producteurs et aux productrices de gagner leur vie correctement."
En d'autre termes, la bio doit se professionnaliser et se mettre en conditions pour s'adapter, sans perdre son âme et son éthique, à ce monde de l'argent qui, certes, n'est pas inscrit dans son ADN mais qui n'est pas forcément sale. En revenant sans cesse à ses fondamentaux, comme au rugby. C'est à ce prix que l'on fera vraiment "rimer assiette avec planète", comme l'écrit joliment Frédéric Denhez. Car le bio qui se définit comme "un produit équitable pour celles et ceux qui le font, comme pour les générations futures", ne saurait se résumer à "un simple label certifiant la suppression des intrants chimiques", insiste-t-il. Tout est dit.
►A LIRE
- "Le Bio, au risque de se perdre", de Frédéric Denhez, Editions Buchet-Chastel, 12 euros, 128 p.
►LIRE AUSSI
- La tribune de Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) sur le site du Monde: cliquer ICI
- Les articles de Ma Planète sur le bio : cliquer ICI
►PLUS D'INFO SUR LA FNAB
- La Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) est la seule organisation professionnelle nationale du secteur des agriculteurs bio de France. Créée il y a tout juste 40 ans, en 1978, elle regroupe 10 000 exploitants bio au travers de 90 groupements départementaux (GAB) et régionaux (GRAB).