Noël 2016."Le mouvement des lieux" : un très beau livre sur l'histoire de nos paysages, à glisser au pied du sapin...
Le mythique hôtel de l'Iroise dans la lande bretonne, sur la pointe du Raz, photographié par Raymond Depardon en 1991, a disparu du paysage en 1997 . Photo Raymond Depardon dans "Le mouvement des lieux"
"Ma Planète", a sélectionné pour vous une série de beaux livres, bien verts, à offrir pour Noël et les fêtes de fin d'année. Parmi les incontournables, "Le mouvement des lieux" raconte en photographies les petites histoires de la transformation de nos paysages, urbains et naturels, et ce depuis plus de 100 ans. L'auteur est bien placé pour nous emmener dans ce voyage à travers le temps, qui va bien au-delà de la simple comparaison "avant-après", déjà passionnante. Agronome et forestier, François Letourneux a participé à la création de l'Observatoire national du paysage, il y a vingt-cinq ans, avant de diriger, de 1992 à 2004, le Conservatoire du littoral.
"Dis, c'était comment la France, avant ?"
Difficile à dire. Des visages, des figures, des paysages... Nous ne gardons que des souvenirs imprécis. Voyons-nous les premiers changer ? Et les lieux, tout aussi vivants que des êtres humains, se transformer ? Voyons-nous nos enfants grandir ? Nos parents vieillir ? Et les arbres pousser ? Cela se fait si lentement... Ou, parfois, si vite et si brutalement qu'il arrive que nous ne nous souvenions même plus de la physionomie d'éléments du paysage disparus, et pourtant familiers. Comme l'hôtel d'Iroise sur la pointe du Raz, en Bretagne, photographié en 1991, par Raymond Depardon avant d'être démoli, en 1997, pour restituer au site sa grandeur et sa beauté, dans un souci de préservation écologique. Tout d'un coup, il n'est plus là. Et c'est comme s'il n'avait jamais existé. Ou bien encoore comme ce village dans le Drôme, Menglon, qui s'étend aujourd'hui au pied d'une colline sur laquelle il était jadis perché, après avoir été démonté et reconstruit pierre à pierre, 2 km plus bas, pour offrir un lieu de vie plus accessible, plus "moderne". Seule, la découverte d'une carte postale datant de 1905, permet de faire surgir le souvenir de l'ancien village oublié.
200 photos pour briser l'oubli
Comme nous, les paysages sont amnésiques. ll faut souvent l'éloignement et les retrouvailles pour que ce qui a changé nous saute aux yeux. Et des photographies, comme repères, pour nourrir notre mémoire. Collectées par François Letourneux dans "Le mouvement des lieux", plus de deux cents photos brisent l'oubli collectif. Réunies à la manière d'un vaste album de famille national, et réalisées pour la plupart par de grands artistes, tels Raymond Depardon, Sophie Ristelhueber ou John Davies, elles montrent ces transformations subies par nos paysages voisins, en décryptant leur mécanisme. D'autres images, cartes postales anonymes issues des siècles derniers, depuis l'invention de la photographie, témoignent tout autant de changements radicaux dans notre cadre de vie. Pour le meilleur, et pour le pire.
Malaise dans les paysages
Cinquante années suffisent pour "inverser" et reverdir un espace rural laissé à l'abandon par la déprise agricole et reconquis par la forêt. Ou, au contraire, à la faveur de l'agriculture intensive, le remembrer et le convertir en vastes champs qui s'étirent à l'infini. En l'espace de de deux ou trois ans seulement, des édiles municipaux peuvent transformer une rue, une avenue et, selon les goûts, défigurer ou embellir un cadre de vie urbain familier. Au risque de brouiller les repères des habitants, et de contribuer au mal-être des banlieues, ou des "quartiers", comme on les appelle. Victimes en première ligne : les arbres et la végétation. Au gré de modes imposées par les "décideurs", on les taille sans pitié à ras, on les abat, on les remplace, on les replante, on traque, en l'aspergeant de désherbant chimique, la moindre herbe folle, on installe des jardinières que l'on supprime ensuite pour installer des potelets...
"L'insidieuse violence de l'automobile"
Alors que certains bataillent férocement contre la violence que ferait aux paysages la présence d'éventuelles éoliennes, en cent ans, l'évolution des banlieues révèle l'envahissement de la voiture, omniprésente, avec ses équipements et les symboles d'une signalétique routière en prolifération incessante. "Une violence insidieuse", pointe François Letourneux, que personne pourtant ne songe à contester, alors qu'elle tend à supplanter l'être humain dans le paysage urbain. Les phots en témoignent, ce fut le cas à Cahors, dans le Lot, dans l'île de Ré, à Bagnolet ou encore à Bobigny, près de Paris, où on a changé jusqu'au nom des rues et des places. Ailleurs, au contraire, on laisse les habitants se réapproprier (presque) librement l'espace public, comme à Arles ou à Charenton. Une démarche rare... Encore ailleurs, comme à Biarritz, on élargit les trottoirs, on piétonnise des rues et on cantonne la voiture, mais sans faire jaillir la moindre étincelle de vie commune dans un espace urbain désormais figé et trop bien organisé.
"L'invention permanente de la vie"
On peut lire ce livre comme un grand jeu des sept erreurs et y voir une mise en garde et une alerte à l'abusive stérilisation des sols et au massacre de la nature. Ou bien, au contraire, se réjouir de la capacité des humains à ne jamais cesser de renouveler leur manière de voir et d'organiser leur habitat sur le territoire, en "réidentifiant" sans cesse leurs lieux de vie. Dans tous les cas, comme le souligne Gilles Clément, qui a brillamment préfacé l'ouvrage de François Letourneux, ce dernier fait partie de ces observateurs irremplaçables qui font "apparaître ce que l'on ne voit pas toujours : l'invention permanente de la vie".
►A LIRE : "Le mouvement des lieux : petites histoires de paysages", de François Letourneux, éd. Buchet-Chastel, 144 p., 29 euros.