"Les mots verts", un livre salvateur pour décrypter le langage de l'écologie politique
Le député maire écologiste Noël Mamère, dans son bureau, à la mairie de Bègles (Gironde). Photo archives "Sud Ouest" / Philippe Taris
Entre traité de linguistique et essai politico-philosophique rebondissant sur l'actualité, voici un Ovni littéraire, intelligent et revigorant. Fruit d'une rencontre entre une linguiste, Stéphanie Bonnefille, maître de conférence à l'Université de Bordeaux, et un homme politique, Noël Mamère, député écologiste de Gironde et maire de Bègles, "Les mots verts, pour une écologie du langage", décrypte "la guerre des récits et des mots, sur le champ de bataille de l'écologie politique". A la façon du sémiologue français, Roland Barthes. Et il y a du pain sur la planche...
Les écolos ne savent pas communiquer
Si l'enjeu du langage et de la rhétorique est fondamental pour le politique, d'autant plus à l'heure d'Internet et des réseaux sociaux, du citoyen lambda aux théoriciens du langage, le constat est unanime : les écologistes ne savent pas communiquer ! Pourtant, climat, pollutions, énergie, pesticides…, ces thèmes de l'écologie et bien d'autres encore, largement médiatisés, sont tout aussi quasi unanimement perçus comme des préoccupations majeures pour l'avenir de l'humanité.
Quel storystelling vert ?
Alors, qu’est-ce qui cloche avec l’écologie politique ? Lui "manque-t-il un récit, un ton, voire un temps ?", s'interroge Stéphanie Bonnefille ? Qu'est-ce que "penser vert" aujourd'hui en France, au-delà du vélo et des sacs en plastique ? Quel storystelling élaborer pour faire passer le message d'une société à 2 000 watts, nécessaire selon les scientifiques pour rester en deçà des 2°C de réchauffement planétaire, à une société sur-consommatrice d'énergie qui vit à 8 000 watts, sans la démoraliser, sans créer la peur de perdre confort et sécurité ?
Pour changer les choses, les écologistes doivent-ils alors changer "leurs" mots ?
Les mots ne sont jamais neutres, en politique encore moins, où ils servent une idée et explicitent un projet de société. "Transition énergétique", "prospérité sans croissance", "simplicité volontaires", "croissance verte", "neutralité carbone", "zadistes", "greenwashing", "écologie citoyenne", "démocratie participative"…, les expressions de la rhétorique verte envahissent la sphère médiatique, entrent parfois dans les dictionnaires, mais perdent souvent de leur valeur à être utilisées par tous, à tort et à travers. "Si vous cédez sur les mots, disait Freud, vous cédez sur les choses". Pour changer les choses, les écologistes doivent-ils alors changer "leurs" mots ? Pour répondre à la question sémantique qui tue, la chercheure a invité Noël Mamère, à dialoguer avec elle. Un choix logique : tribun hors pair, l'ancien journaliste et "bon client" des plateaux télés et des radios pour qui Zemmour est un "pollueur de l'âme", maîtrise l'art de la formule, qu'elle plaise ou agace. Mais veut-il pour autant toujours dire ce qu'il dit ?
Dialogue socratique
Menés de novembre 2014 à mars 2016, ces entretiens socratiques, vifs et stimulants, relisent une actualité éprouvante et pléthorique - attentats islamiques, COP21, Notre-Dame-des-Landes, crise des migrants, etc. – et posent les bases d'une écologie du langage, à la recherche de l'"encre verte" plus lisible, qui manque tant aux politiques. Noël Mamère y dénonce notamment le "greenwashing", cet habillage cosmétique vert, bien commode pour beaucoup d'entreprises et d'hommes politiques, l'hystérisation et les raccourcis du discours politique, tout en pointant les écueils du discours écologique :"Trop austère, trop anti-tout, trop complexe parfois, trop revendicatif ou brutal, trop culpabilisant trop dispersé aussi".
A la recherche de la recette de l'"encre verte"
Si l’incroyable succès du film de Mélanie Laurent, et Cyril Dion, "Demain" (plus d'1 million de spectateurs en mai dernier), sorti en décembre 2015 à la veille de la Cop21, prouve qu’il existe au moins une recette de cette fameuse "encre verte", à la décharge des politiques, pas sûr qu'il leur suffise de raconter l'histoire de la crise écologique en mode espoir, au travers des solutions qui fleurissent tout autour de la planète, et non des catastrophes qui nous guettent, ou encore de parler de "crise climatique" à la place de "réchauffement" ou de "changement climatique" pour être entendus… Ne dit-on pas aussi qu'"il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ?"
Brillamment préfacé par Christian Salmon, auteur du passionnant ouvrage "Storystelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits" (La Découverte), "Les mots verts" est un excellent décryptage du langage politique, de haute tenue et très documenté, qui dépasse largement la sphère de l'écologie. A lire absolument. Et surtout, à méditer.
►A LIRE
- "Les mots verts, pour une écologie du langage", Noël Mamère, entretiens avec Stéphanie Bonnefille. Editions de L'Aube, 201 p., 20 euros.
►LIRE AUSSI
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