A Toulouse, des scientifiques percent les mystères de la matière grise des abeilles
Les abeilles ont des capacités cognitives supérieures à celles des autres insectes. Photo "Sud Ouest"
La complexité de la vie sociale des abeilles, dotées de remarquables capacités d’apprentissage et de mémoire qui leur permettent de naviguer de façon efficace dans la nature, entre la ruche et les fleurs qu'elles butinent pour produire le précieux miel, fascine depuis longtemps les hommes et les scientifiques. Les abeilles, intelligentes, sont douées de facultés leur permettant un apprentissage de haut niveau. Soit. Mais comment fonctionne leur cerveau ?
Comment marche l'intelligence des abeilles ?
Les petites ouvrières de la biodiversité peuvent apprendre à faire des associations simples, entre couleurs ou odeurs et récompense alimentaire (le nectar ou le pollen présents dans les fleurs), mais aussi à résoudre des problèmes complexes. Une prérogative que l'on longtemps cru réservée l’homme et à certains primates. Si elles ne sont peut-être pas capables d'écrire la théorie de la relativité, les abeilles ont bel et bien des capacités cognitives plus développées que celles d'autres insectes et de nombreuses études ont déjà mis en évidence cette particularité. Ce que l'on ignorait encore, c'est comment fonctionnent les mécanismes cérébraux de leur intelligence. Les travaux d'une équipe de scientifiques de Toulouse permettent de lever enfin le voile sur ce mystère.
Des structures cérébrales spécifiques
Pour la première fois, des chercheurs français du "Centre de recherche sur la cognition animale de Toulouse" du CNRS, conduits par Martin Giurfa et Jean-Marc Devaud, en collaboration avec le laboratoire "Evolution, génome, comportement et écologie et de l’université Libre de Berlin", démontent les mécanismes cérébraux des abeilles. L’analyse de leurs mécanismes d'apprentissages complexes révèle qu'elles sont dotées de structures cérébrales, appelées corps pédonculés, nécessaires pour la résolution de taches de discrimination complexes, qu'elles ne sollicitent pas pour leurs apprentissages simples.
La méthode scientifique
Afin de mettre à jour les mécanismes responsables des performances d'apprentissage et de déduction des abeilles, liées à leur mémoire, les scientifiques ont étudié leur capacité à résoudre des discriminations complexes, dites "non-linéaires", qui requièrent un traitement cognitif particulièrement élaboré. Ainsi, des abeilles immobilisée dans le laboratoire recevaient deux odeurs A ou B, récompensées avec une gouttelette de sucre. Mais, chaque fois que A et B leur étaient présentées simultanément, aucune récompense, ni double, ni simple, ne leur était offerte, contrairement à ce à quoi elles auraient pu logiquement s'attendre.
Pas de sucre, pas de trompe
Difficulté supplémentaire pour les abeilles, la séquence de la présentation des odeurs était aléatoire. Les butineuses devaient donc apprendre à répondre aux odeurs A et B, récompensées séparément par du sucre, par une extension de leur trompe (proboscis, photo ci-dessus) qui, chez elles, montre l’attente de nourriture, et à ne pas répondre au mélange AB, non récompensé. Pas de douceur, pas de trompe. Pour résoudre ce problème, les abeilles devaient donc supprimer de leur déduction la logique linéaire qui voudrait que "si A et B sont récompensés, AB doit être doublement récompensé".
Les abeilles, grosses têtes de la classe insectes
Cerveau de l’abeille en vue frontale. En rouge les corps pédonculés, structures cérébrales de haut niveau nécessaires pour l’apprentissage de discriminations non linéaires. Le blocage de ces structures entraine une incapacité à résoudre ces discriminations mais non pas des discriminations simples. © R. Menzel, Freie Universitaet, Berlin
Super cadors, les abeilles ont brillamment démêlé la situation et ont appris à résoudre de façon efficace le problème qui leur était posé, en faisant appel à leurs capacités de mémorisation. Cette nouvelle performance de leur sophistication cognitive a permis aux chercheurs de se focaliser sur des structures particulières du cerveau des insectes, les corps pédonculés, centre de leur mémoire. Chez l’abeille, ces régions cérébrales ont la particularité d’associer de nombreuses voies sensorielles (olfactives, visuelles, gustatives, etc.) et d’occuper une portion très volumineuse de leur cerveau. En les bloquant par des injections d’un anesthésique local, les chercheurs ont montré qu'ils jouent un rôle clé pour résoudre des discriminations olfactives non-linéaires comme celle décrite ci-dessus. En revanche, leur absence n’a pas empêché les abeilles d’apprendre des discriminations olfactives plus simples : ce sont d’autres régions de leur cerveau qui interviennent dans la résolution de problèmes simples.
Protéger les abeilles
Les chercheurs soulignent que ces travaux apportent une lumière sur les réseaux neuronaux minimaux nécessaires pour la résolution de problèmes complexes et ouvrent des perspectives intéressantes pour des travaux d’intelligence artificielle et robotique. Au-delà, l'étude montre une fois de plus le caractère exceptionnel des abeilles et les scientifiques rappellent qu'il y a une urgente nécessité à mettre en place des protections environnementales efficaces, pour les sauver des différentes menaces de disparition massive qui pèsent sur elles. Dont les pesticides néonicotinoïdes.
►PLUS D'INFO
- L'étude "Neural substrate for higher order learning in an insect: Mushroom bodies are necessary for configural discriminations", 2015, de Jean-Marc Devaud, Thomas Papouin, Julie Carcaud, Jean-Christophe Sandoz, Bernd Grünewald, and Martin Giurfa, est publiée dans la revue : "Proceedings of The National Academy of Sciences USA". Pour la lire : cliquer ICI
►LIRE AUSSI
- Les articles de Ma Planète sur les abeilles : cliquer ICI