Fiscalité écologique: nouveau report de l'écotaxe poids lourds
Portique installé pour contrôler le passage des camion dans le cadre de l'écotaxe, La Rochelle, 11 décembre 2012. Photo archives Sud Ouest Xavier Leoty
Le dispositif de collecte de la taxe poids lourds, l'écotaxe, qui devait démarrer initialement le 1er octobre 2013, n'entrera en vigueur que le 1er janvier 2014 : un manque à gagner de 1,2 milliard d'euros par an pour l'Etat. Pas vraiment une paille, crise ou pas crise.
Destinée à alimenter l'Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF) et les collectivités locales, la somme non perçue en raison de ce retard représente 100 millions de plus par mois que l'Etat devra décaisser... Ce n'est pas comme si les infrastructures ferroviaires ou les différents réseaux de transports en commun couraient après des financements introuvables de l'Etat.
Reports en cascade, de 2007 à 2014
Dans le beau royaume de France (parfois, notre République a des côtés très "Ancien régime"), dès qu'il s'agit de décider de mesures à fort impact écologique qui impactent nécessairement les secteurs économiques traditionnels (ici le transport routier), on prend vraiment son temps. Plutôt plus qu'ailleurs en Europe. L'écotaxe est la déclinaison de la directive européenne "Eurovignettes" de 1999, destinée à externaliser et réduire les impacts environnementaux du transport routier et favoriser le développement du fret ferroviaire. Il y a donc 14 ans de cela.... Le temps de la réflexion, huit ans après, en 2007, le gouvernement Fillon la reprend dans l'un des 237 engagements du Grenelle de l'Environnement. Censée s'appliquer dès 2011, puis à l'été 2012 avant d'être encore repoussée au 1er juillet 2013 d'abord, puis au 1er octobre, l'écotaxe poids lourds devra une nouvelle fois attendre pour être déployée, si tout va bien, au 1er janvier 2014. C'est ce que vient d'annoncer le jeudi 5 septembre l'actuel gouvernement, dans un communiqué commun de Bernard Cazeneuve, ministre délégué au Budget, et de Frédéric Cuvillier (photo ci-dessus), ministre délégué aux Transports.
La faute à Ecomouv ?
Selon le communiqué gouvernemental, l'enregistrement des véhicules assujettis, soit quelque 800.000 poids lourds de plus de 3,5 tonnes français et étrangers, qui a été ouvert depuis le 19 juillet dernier, a révélé « des dysfonctionnements persistants qui doivent impérativement être corrigés avant la mise en service du dispositif ». En gros, le ministère rejette la faute de ce nouveau report sur Ecomouv, la société filiale du groupe italien Autostrade qui a obtenu le contrat d'exploitation du système en octobre 2011. Elle n'aurait reçu que 30.000 dossiers seulement. A peine 20.000 poids lourds sont dûment enregistrés, dont 50 % d'étrangers, a précisé Frédéric Cuvillier qui n'a pas manqué de tacler le gouvernement de Nicolas Sarkozy, en soulignant notamment « le manque de préparation du dispositif et d’anticipation des difficultés sous le précédent gouvernement ». De son côté, Ecomouv se défend et son vice-président, Michel Cornil (photo ci-desss), assure qu'il n'existe "aucun élément qui remette en cause la date du 1er octobre sur un plan technique.
La satisfaction du secteur routier...
Dans ce très classique vaudeville économico-écolo à la française, les professions du secteur routier n'ont jamais caché leur hostilité à une taxe qui vise à entretenir les routes nationales et départementales mais aussi à financer le ferroutage et le transport fluvial, afin de développer les alternatives au transport tout routier, responsable en partie de l'accroissement de nos émissions de gaz à effet de serre, acteurs essentiels du réchauffement climatique. Pour Nicolas Paulissen, délégué général de la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR), ce report est " une bonne nouvelle", mais "s’il y a des problèmes techniques, les quatre mois ne seront pas suffisants". L’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), qui avait appelé à un boycott des enregistrements, "va demander au ministre la remise à plat du dossier taxe poids lourds en envisageant la dénonciation du contrat liant l’État à Écomouv’." Même son de cloche pour la Confédération Française du Commerce interentreprises, qui conteste le principe même de l’écotaxe, car elle « va créer une situation conflictuelle entre le transporteur et son client ». Quant au Conseil national des professions de l’automobile (CNPA), il évoque pour sa part « un report raisonnable mais des questions toujours en suspens ».
... et l'inquiétude des écolos
Les deux élus écologistes, le sénateur Ronan Dantec (photo ci-contre, vice-président de la commission du développement durable du Sénat, et rapporteur du budget du transport routier dans le cadre de la loi de finances) et le député François-Michel Lambert (vice-président de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale), déplorent de leur côté le nouveau report de l’écotaxe poids lourds. Ils soulignent que "cette taxe doit créer de l’emploi et de l’activité économique en finançant la modernisation ou la création de nouvelles infrastructures de transport". Selon eux, il est plus que jamais urgent de "dégager de nouvelles capacités d’investissement", comme l'illustre "malheureusement le récent accident qui s’est produit à Brétigny sur Orge", dont l’origine, selon eux, "est probablement liée à la vétusté d’une partie du réseau ferroviaire français". Outre l’enjeu de lutte contre le changement climatique qui avait justifié la création de l’écotaxe lors du Grenelle en 2007, dans une optique de transfert modal de la route vers le rail, pour les écologistes, c’est plus largement la question de la modernisation économique de la France qui se pose.
Obligation européenne
Le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, a pris soin de réaffirmer que "le principe de l'écotaxe n'est pas remis en cause". Il est vrai qu'il peut d'autant moins le remettre en question qu'il s'agit d'une obligation européenne. Une dizaine de pays en Europe tirent satisfaction d'avoir déjà mis en place un système équivalent, comme l'Allemagne, la Slovénie, l'Autriche, la République Tchèque ou la Suisse. Comme dans bien d'autres domaines qui touchent à l'environnement (la qualité de l'air et de l'eau, l'usage des nitrates et des pesticides), la France ne peut que surseoir et reporter l'échéance. Au risque de perdre des millions d'euros : pour l'Etat français, le report de l'entrée en vigueur de l'écotaxe se traduit d'ores et déjà par un manque à gagner de 200 millions d'euros pour son budget 2013. Sur les 300 millions d'euros bruts qui auraient dû être collectés au cours des trois derniers mois de l'année, une partie devait en effet revenir à la société concessionnaire et une autre aux collectivités locales. Pour mémoire, en Allemagne, où le dispositif Toll Collect s'est imposé il y a huit ans, en 2005, l'Etat allemand a touché 30 milliards d'euros depuis son lancement.
Lutter contre la concurrence déloyale
Pour ne pas pénaliser les transporteurs, le gouvernement a pourtant prévu dans sa loi du 29 mai 2013, d’imposer des taux de majoration, qui obligent les professionnels du transport à augmenter leur prix. Le ministre fait valoir aussi que l'écotaxe réduit la concurrence déloyale dont souffrent les transporteurs français en y assujettissant les transporteurs étrangers. Comme pour les mesures de réduction de l'éclairage public dans les villes, entrées en vigueur pour économiser l'énergie le 1er juillet dernier, l'écotaxe n'a pas encore démarré que les dérogations affluent. Les camions-citernes transportant le lait en seront dispensés en raison des « difficultés » rencontrées dans ce secteur, quant aux industriels de la nutrition animal, ils demandent le même traitement de faveur...
Faut-il voir dans ce nouveau report de l'écotaxe un mauvais présage pour les autres annonces attendues sur la fiscalité carbone ? Ou l'ajustement d'un projet mal ficelé ? On devrait vite le savoir.
►L'ECOTAXE, QUESAKO ?
Initiée par la précédente majorité lors du Grenelle de l’environnement, l’écotaxe, dite « taxe poids lourds », doit s’appliquer à tous les véhicules de plus de 3,5 tonnes (les camions) transporteurs de marchandises, circulant sur le réseau national non payant, selon des barèmes kilométriques. 15.000 kilomètres de routes sont concernées, et les transporteurs devraient débourser au total 1,2 milliard d’euros par an. Le coût moyen de la taxe serait de l'ordre de 12 centimes d'euros par km. Tout sur l'écotaxe : cliquer ICI.
►COMMENT CA MARCHE ?
1. Tous les poids lourds français et étrangers de plus de 3.5 tonnes accédant au réseau taxé seront obligatoirement équipés d'un boîtier électronique appelé "équipement embarqué" (EE). Des points de tarification, ou portiques de détection, sont disposés tous les 4 ou 5 km.
2. Les données de positionnement sont envoyées par satellites. Un signal régulier de l'historique des positions par GSM via le EE permet de calculer la distance parcourue.
3. Les données transmises par les relais GSM et centralisées permettent de calculer le montant à payer. Ce niveau varie selon le niveau d'émissions polluantes du véhicule.