Soupçons de fichage illégal Monsanto : où en est-on après les révélations du Monde et de France 2 ?
L'Américain Monsanto a été racheté par le groupe allemand Bayer, en 2018. Photo AFP
France 2 et le Monde ont révélé en fin de semaine dernière l'existence d'un "fichier Monsanto", constitué de deux tableaux Excel, classant les opinions de plus de 200 personnalités françaises ( journalistes, politiques, scientifiques, responsables d’ONG…) sur la question du glyphosate.
Noms, contacts détaillés mais aussi position sur la réhomologation de la substance ultra-controversée, crédibilité et "portée de la voix" sont détaillées sur les questions des pesticides, des OGM, de l’agriculture, de l’environnement… A l'insu des personnes présentes dans les fichiers. Ce qui n'est pas vraiment conforme aux standards de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Ce fichier "provient d'une fuite d'un cabinet de lobbying et de relations publiques majeur, Fleishman-Hillard, mandaté par le géant de l'agrochimie pour l'assister dans sa défense du glyphosate", notait Le Monde, le jeudi 9 mai.
Coordonnées personnelles et système de notation
Ces documents ont été établis fin 2016 par des agences de communication travaillant pour Monsanto qui ont secrètement fiché 239 personnes en France au total, en fonction de leur position sur les pesticides, notamment le glyphosate, utilisant parfois des informations privées. A cette époque, le glyphosate, ingrédient actif du Roundup et herbicide le plus employé au monde, avait déjà été classé en mars 2015 "cancérogène probable" par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l'OMS.
Un premier fichier, intitulé en anglais "Monsanto France base de données des parties prenantes - cultiver la confiance Monsanto", classe les principaux acteurs du débat sur les pesticides en France en fonction de leur degré d'influence. Il comprend 200 noms, avec des coordonnées personnelles et un système de notation sur 5. Près de la moitié sont des journalistes qui pour la plupart couvrent pour leur rédaction les questions ayant trait à l'environnement et à l'agriculture. Mais on trouve aussi des scientifiques et vingt-cing personnalités politiques, des ministres en place à l'époque de la constitution du fichier en 2016, des eurodéputés et députés français, précise Le Monde. Le fichier comporte également les noms d'une trentaine de dirigeants d'organisations agricoles, comme la FNSEA ou la Confédération payanne, ou encore de dix-sept ONG et associations.
Six thématiques, de l'agriculture à la santé
La crédibilité, l'influence et le potentiel des personnes figurant dans ce fichier sont évaluées sur six thématiques allant de l'agriculture à la santé. Les ministres de l'époque, Marisol Touraine et Ségolène Royal sont considérées comme "hostiles" au glyphosate. Les noms des eurodéputés Verts Michèle Rivasi et Yannick Jadot se trouvent également dans la liste parmi les opposants à l'herbicide controversé. L'actuel ministre de l'Agriculture Didier Guillaume, à l'époque membre du Parti socialiste, est lui aussi classé parmi les détracteurs du glyphosate.
"Alliés", "potentiels alliés à recruter", personnalités "à éduquer" et "à surveiller"
Dans un autre document plus précisément dédié au renouvellement de l'autorisation du glyphosate, un tableau cible plus de 80 "cibles prioritaires" divisées en quatre groupes : les "alliés", les "potentiels alliés à recruter", les personnalités "à éduquer" et celles "à surveiller". Sur la base de cette liste a été établi un plan d'action personnalisé, avec les loisirs de ces cibles (par exemple, le golf), et pour les "alliés", des propositions de tweets et d'infographie à diffuser, selon France 2.
Suites judiciaires
Après la révélation du possible fichage illégal de centaines de personnalités pour le compte de Monsanto, dont certains de ses journalistes, le quotidien Le Monde a déposé une plainte auprès du procureur de la République et le parquet de Paris a ouvert une enquête dès le vendredi 10 mai. La plainte du Monde, qui s’appuie sur plusieurs articles du code pénal, porte sur quatre délits : une «mise en œuvre de traitement de données à caractère personnel illicite», «une collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite», la «conservation en mémoire informatisée des données à caractère personnel faisant apparaître les opinions politiques et philosophiques d’une personne sans son consentement», et enfin un «transfert illicite de données à caractère personnel faisant l’objet ou destinées à faire l’objet d’un traitement vers un Etat n’appartenant pas à l’Union européenne ou à une organisation internationale», du fait que ces fichiers sont en anglais.
Le dimanche 12 mai, France Télévisions a aussi annoncé son intention de porter plainte. Radio France, Europe Ecologie ont fait de même. Avec l'association Foodwatch, Générations Futures a aussi annoncé son intention de porter plainte concernant ce fichage. Dans un communiqué, l'ONG qui lutte contre les pesticides, considère également que "ce fichage de nos opinions en lui-même est problématique", et dénonce "les méthodes de ces lobbies et des officines travaillant à leur service". "Ce fichage a servi à influencer au maximum des décideurs ou leader d’opinion au moment des débats sur la réhomologation du glyphosate en Europe", observe son président, François Veillerette.
Selon Le Monde, Feishman-Hillard pourrait avoir constitué des fichiers semblables dans plusieurs pays de l'Union européenne.
Les excuses de Bayer
Ce dimanche, Bayer a présenté ses excuses à la suite de révélations en France de ce fichage pour le compte de sa filiale Monsanto. « Après une première analyse, nous comprenons qu’un tel projet ait suscité des inquiétudes et des critiques », a écrit le groupe agrochimique allemand, qui avait finalisé l’an dernier l’acquisition du géant américain des pesticides et des OGM. « Ce n’est pas la manière avec laquelle Bayer chercherait à dialoguer avec les différents groupes d’intérêt et la société et nous présentons en conséquence nos excuses », a-t-il ajouté en affirmant « ne tolérer aucun agissement qui soit contraire à l’éthique ». Mais Bayer a dans le même temps estimé ne pas voir « pour le moment » d’éléments montrant que les listes établies pour le compte de Monsanto ont enfreint la loi.
Le groupe allemand dit vouloir charger un cabinet d’avocats d’examiner plus en détail le dossier et d’indiquer à toutes les personnes figurant sur ces fichiers controversés quelles informations ont été rassemblées les concernant. Bayer dit vouloir aussi coopérer avec les autorités judiciaires françaises.
Pas sûr que cela suffise à éteindre l'incendie.
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