Le Conseil d’Etat impose un cessez-le feu pour la prolongation de la chasse à l'oie cendrée
Un vol d'oies sauvages, à Petersdorf (Allemagne), le 8 janvier 2018. Archives AFP
En France, la guerre de la chasse à l'oie cendrée sauvage entre chasseurs et écologistes n'en finit pas de durer. Le 30 janvier 2019, François de Rugy avait rallumé le vieux conflit, en signant un arrêté autorisant les chasseurs à chasser les oies jusqu’à la fin du mois de février.
C’était sans compter sur la vigilance et la combativité intacte des associations de défense de la nature, contraintes de rappeler, année après année, aux gouvernements successifs que l'on ne doit pas chasser les oiseaux migrateurs de retour sur leurs lieux de nidification.
Comme attendu, saisi en urgence par la Ligue de protection des oiseaux (LPO), la FNE, Humanité et biodiversité, et One Voice, le Conseil d’Etat vient à nouveau de suspendre la chasse aux oies jusqu’à la fin février, donnant tort au ministre de la Transition écologique et solidaire et au chef de l'Etat, à l'origine de la tentative. "Et toc !", a-t-on envie de dire.
La LPO fait condamner l'État pour la 12e fois en 20 ans
"On peut dire que les services de l’Etat en auront déployé des trésors d’ingéniosité et de mauvaise foi pour essayer de traduire, dans les faits et le droit, la promesse faite aux chasseurs par Emmanuel Macron en juillet 2018 de pouvoir tuer les oies durant tout le mois de février 2019", réagit Allain Bougrain Dubourg, président de la LPO, dont on sait qu'il n'est pas vraiment un adepte de la langue de bois.
Les précédents gouvernements ayant échoué depuis vingt ans à prolonger la période de la chasse à l'oie, le gouvernement a tenté une nouvelle stratégie. "Parmi les grosses ficelles", explique-t-il, "il y eut cette rédaction d’un amendement dans le projet de loi pour lutter contre les Sur-transpositions des directives européennes prévoyant… de modifier le code de l’environnement pour autoriser la destruction par la chasse d’espèces gibiers hors période d’ouverture sous prétexte de dégâts. Le projet de loi fut reporté à l’année 2019 pour cause d’affaire Benalla".
L'argument de la lutte contre les dégâts agricoles
Mais le coup était parti et la motivation du ministère de la Transition écologique et solidaire, sur le site de la consultation publique relative à la chasse des oies en février, restait bel et bien la lutte contre les dégâts agricoles. Au prétexte que les Pays-Bas devaient faire face à ces dégâts. Un comble, selon le président de la LPO qui commente, un brin railleur : "Le ministère sait pertinemment que ce ne sont pas les mêmes populations d’oies qui transitent par la France. Mais peu importe, puisque faute d’avoir réussi à changer les dispositions législatives, l’arrêté signé s’appuyait sur un autre motif complètement farfelu : les risques de dommages des oies aux équilibres naturels !"
Echaudés par des projets d’arrêtés sur le piégeage des oiseaux qui ont recueilli près de 90% d’avis défavorables, les chasseurs étaient fortement mobilisés pour répondre en masse à cette nouvelle consultation. "Après une série de bugs, de non prise en compte des avis, de non visibilité sur le site, de réponses rassurantes indiquant que le site de la consultation fonctionnait enfin, après la date de clôture de ladite consultation… le ministère était en mesure (en moins de trois jours après la clôture) d’analyser 52.000 contributions, d’en tirer les enseignements et de conseiller le ministre quant à la décision à prendre !", ajoute Allain Bougrain Dubourg, à qui visiblement, on ne la fait pas.
Histoire de faire bonne mesure, pour tenter d'influencer le Conseil d'Etat, Emmanuelle Wargon aurait même, selon lui, demandé par téléphone au ministre de l’agriculture norvégien le vendredi 1er février, soit après la signature de l’arrêté, qu'il approuve en urgence le tir en France des oies cendrées en février. "Ce dernier s'est contenté de répondre que la France pouvait bien faire ce qu'elle voulait...", précise l'ardent défenseur de la gent ailée.
L'ordonnance du Conseil d'Etat
Le gouvernement "fait état des risques, au regard notamment de l'équilibre des écosystèmes, que présenterait la prolifération des espèces d'oies, en particulier au Nord de l'Europe", note, dans son ordonnance du 5 février, le Conseil d'Etat saisi en urgence. "Cependant il n'établit pas (...) qu'il n'existerait aucune autre solution satisfaisante, qui pourrait notamment être mise en oeuvre dans les Etats européens les plus concernés par les risques allégués, ni que les prélèvements par tir autorisés constitueraient une "exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités" lui permettant de déroger au principe de protection complète des espèces migratrices", ajoute-t-il, au terme d'une audience en urgence tenue ce mardi.
En condamnant en référé le ministère de la Transition écologique et solidaire, le Conseil d'Etat a considéré que la "gestion adaptative" n'a pas pour objectif de contourner les dates de clôture de la chasse, qu'aucun dégât n'impacterait la France en raison de la présence des oies et que les chiffres de populations d'oies survolant la France durant la période incriminée étaient nettement inférieurs à ceux annoncés par le gouvernement, résume la LPO.
"Au final, à l'heure où la France prétend être exemplaire dans sa volonté d'endiguer le déclin de la biodiversité, on constate qu'elle met tout en œuvre pour permettre l'abattage supplémentaire d'oiseaux migrateurs à seule fin de satisfaire la « chasse récréative »", conclut non sans amertume Allain Bougrain Dubourg.
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