Science : les premiers embryons de rhinocéros blanc in vitro sauveront-ils une espèce quasi éteinte ?
Najin, une des deux dernières femelles rhinocéros blancs du Nord, le 5 décembre 2016 avec un de ses gardiens de la réserve d'Ol Pejeta. Photo archives AFP
Verra-t-on la naissance d'un bébé éprouvette rhinocéros blanc du Nord d’ici trois ans ? C’est l’espoir soulevé par des chercheurs qui ont réussi à créer les premiers embryons in vitro de rhinocéros, une « étape essentielle » pour la survie de cette sous-espèce quasi éteinte du pachyderme, décimée par le braconnage.
On se souvient que Sudan, dernier mâle rhinocéros blanc du Nord, est mort en mars 2018 à l’âge de 45 ans dans la réserve kényane d’Ol Pejeta, laissant derrière lui sa fille et sa petite-fille, Najin et Fatu, dernières représentantes sur la planète de cette sous-espèce africaine décimée par le braconnage. Il restait encore au moins 700 de ses congénères dans la nature au moment de sa naissance, en 1973. cette disparition, beaucoup comptaient sur la science pour assurer la perpétuation de ces pachydermes originaires d’Afrique centrale, dont les derniers individus sauvages ont été tués il y a plus de dix ans. Un décès synonyme de l’extinction de cet animal, à moins que les scientifiques qui ont prélevé son matériel génétique parviennent à développer des techniques de fécondation in vitro afin de concevoir des « bébés rhinocéros éprouvettes » qui seraient implantés dans une mère porteuse d’une autre sous-espèce.
Grâce à des procédures de procréation assistée inédites chez des rhinocéros, la « première étape essentielle pour sauver cette sous-espèce quasi éteinte » a été franchie, avec la création d’embryons hybrides in vitro, explique une équipe internationale de chercheurs dans la revue Nature Communications, le 4 juillet 2018.
Comment ont-ils procédé ?
Les scientifiques ont prélevé dans des zoos européens plus de 80 ovocytes sur des femelles rhinocéros blancs du Sud, sous-espèce dont il reste quelque 20 000 individus sauvages dans le sud de l’Afrique. Les ovules ont ensuite été fécondés en laboratoire, certaines par du sperme congelé de rhinocéros blancs du Nord et d’autres par celui de son cousin du Sud, grâce au laboratoire italien Avantea spécialiste de la reproduction de chevaux et de bovins. Résultat: sept embryons, dont trois (un Sud-Sud et deux Sud-Nord) ont été congelés.
Un bébé rhino blanc-éprouvette dans trois ans ?
« Notre but est d’avoir d’ici trois ans la naissance du premier petit rhinocéros blanc du Nord », assure Thomas Hildebrandt, de l’Institut Leibniz de recherche zoologique et animale de Berlin. « En prenant en compte les 16 mois de grossesse, nous avons un peu plus d’un an pour réussir une implantation » sur une mère porteuse rhinocéros blanc du Sud, Najin et Fatu n’étant pas en mesure de mener une grossesse, poursuit-il. Et le temps est compté. Les descendantes de Sudan sont les seules à « pouvoir apprendre la vie sociale à un rhinocéros blanc du Nord », souligne l’expert en reproduction animale.
Comment obtenir un petit rhino blanc du nord "pur"?
Mais pour l’instant, les embryons créés permettraient au mieux la naissance d’un hybride. Alors pour faire naître un petit rhinocéros blanc du Nord « pur », les chercheurs souhaitent recueillir les ovocytes des deux femelles du Kenya. « Nous espérons pouvoir le faire d’ici la fin de l’année », indique Jan Stejskal, le directeur de la communication du zoo tchèque de Dvůr Králové, où Sudan a vécu jusqu'en 2009. Najin et Fatu sont nées en 1989 et 2000 dans ce parc qui avait tenté en vain des inséminations artificielles, avant de les envoyer au Kenya dans l’espoir, déçu, d’une reproduction naturelle.
Pourquoi n'ont-ils pas prélevé plus tôt les ovocytes des deux femelles du Kenya ?
Les chercheurs attendent une autorisation des autorités kényanes pour cette intervention délicate. Ils ont également dû inventer et développer ces deux dernières années une technique et un ustensile de deux mètres de long pour prélever des ovocytes de rhinocéros blancs à l’anatomie particulière, explique Thomas Hildebrandt.
Est-ce que ça peut marcher ?
En parallèle, au cas où les ovocytes de Najin et Fatu ne puissent être prélevés, et pour assurer une diversité génétique des futurs petits, d’autres expériences sont en cours pour tenter de produire des gamètes (ovocytes et sperme) de rhinocéros blancs du Nord grâce à des cellules souches pluripotentes induites, qui ont le potentiel de se transformer en n’importe quelle cellule. Quoiqu'il en soit, « il reste improbable qu’une population viable de rhinocéros blancs du Nord soit restaurée », tempèrent Terri Roth et William Swanson, du centre de recherche du zoo de Cincinnati, qui n’ont pas participé à l’étude. « Des résultats impressionnants dans une boite de Pétri ne se traduisent pas facilement en un troupeau de petits en bonne santé », ajoutent-ils.
Le projet est estimé à neuf millions d'euros, selon le zoo de Dvůr Králové, qui mise sur la générosité des donateurs. Les auteurs de l’étude doivent répondre aux voix qui s’élèvent contre les sommes dépensées dans ces biotechnologies, protestant qu'elles seraient mieux investies dans la lutte contre le braconnage. Grâce aux efforts engagés dans ce domaine, le population de rhinocéros noirs est ainsi remontée de 2 410 animaux en 1995 à environ 5 000 aujourd'hui. Pour Jan Stejskal, le combat doit se mener sur tous les fronts : « conservation sur le terrain, lutte contre la demande (de cornes) en Asie et soutien à la science ». Avec l’espoir, un jour, de voir les rhinocéros blancs du Nord « de nouveau à l’état sauvage ».
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