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Le livre vert du dimanche. Pour que la vigne ne meure jamais : "Le jour où il n'y aura plus de vin", récit d'un combat

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Pour Lilian Bérillon, pépiniériste, le véritable danger pour la vigne n'est pas le réchauffement climatique mais l'homme et ses techniques de culture. Photo archives Sud Ouest

"A l'heure où la presse s'extasie devant de nouveaux chais clinquants à plusieurs millions d'euros, imaginés par de célèbres architectes, la vigne se meurt". D'entrée, la préface du livre cosigné Laure Gasparatto, journaliste spécialiste du vin au "Monde" et Lilian Bérillon, pépiniériste, "Le jour où il n'y aura plus de vin", publié chez Grasset, plante le décor. Sans fioritures. Les faits sont là : autrefois, on plantait pour cent ans, demain on plantera pour à peine vingt-cinq ans. Le coupable ? Le réchauffement climatique. D'accord. Mais au fond, ce dernier a bon dos. Le vrai responsable, c'est surtout l'homme et ses techniques de culture.

Dans cinquante ans, explique Lilian Bérillon, qui vit et travaille à Jonquières (Vaucluse), dans sa pépinière qui porte son nom, si rien ne bouge, "le vin tel que nous le buvons et l'aimons, aura disparu". La raison ? Le productivisme des pépiniéristes de la viticulture, dont le métier est né il y a une centaine d'années de la crise du phylloxéra, qui considèrent le cep comme une marchandise et vendent les plants de vigne hors-sol, des "cépages dit résistants, issus du clonage et des éprouvettes, comme un trader vendrait des actions", dénonce-t-il. Avec pour horizon monotone la fin de la diversité, ramenée à un seul pied de vigne, reproduit à l'infini.

La "mémoire" des plants de vigne

jour vin.jpgHéritier d'une longue tradition familiale installée dans le Sud-Est de la France, Lilian Bérillon était un pépiniériste comme les autres, jusqu'au jour où il a compris que, pour sauver la vigne (et se sauver lui-même !), il fallait réhabiliter le végétal, restituer au vignoble son histoire biologique et revenir à des méthodes de culture fiable. Car le vin, martèle-t-il, "n'est pas une affaire de chimiste, mais le fruit du mariage ancestral entre l'homme et la nature". Comme il le rappelle, la vigne a déjà, à plusieurs reprises, été rayée de la carte. En 1704, notamment, le gel a tué les deux tiers des vignes françaises, et plus près de nous, au début du XIXe siècle, le phylloxéra a anéanti la totalité du vignoble français. Mais les raisins et le vin sont toujours là.

Menaces climatiques, maladies, jusqu'à présent, la vigne a toujours su s'adapter et renaître, grâce aux gestes ancestraux. Pour continuer à boire du vin, dans un monde où la recherche crée de nouvelles variétés sans diversité, alors qu'il existe déjà des plants qui ont résisté aux aléas climatiques, réchauffement comme glaciation et qui ont une mémoire, c'est la biodiversité qu'il faut retrouver. Selon Lilian Bérillon, la solution est là, à portée de main : il faut partir à la recherche de ces végétaux qui ont traversé les millénaires pour nous parvenir. Au risque de gagner beaucoup moins d'argent. Plus facile à dire qu'à faire, mais tellement gratifiant pour le pépiniériste, sur le plan professionnel et humain !

L'exemplarité des grands crus

Depuis cet aggiornamento, Lilian Bérillon parcourt l'Europe, en quête de ces vieux ceps qui constituent le patrimoine viticole, et qui sont taillés pour affronter le temps qui passe et le climat qui change. Remplie de l'amour inconditionnel et viscéral qu'il porte à la terre, à la vigne et à son métier, la démarche exigeante et passionnée du pépiniériste finit par convaincre les propriétaires des plus grands crus et des plus grands châteaux, qui s'arrachent aujourd'hui ses conseils et veulent lui acheter ses plans. A l'instar du célébrissime Château Latour, premier grand cru classé à Pauillac, en Gironde, propriété de la holding Artémis de François Pinault, avec lequel a commencé à sélectionner de vieux pieds de cabernet-sauvignon. Objectif : créer à terme un conservatoire, véritable vitrine pour la propriété, dans lequel chaque pied est identifié, observé et noté durant plusieurs années pour servir de réservoir de greffons et refaire des plants. Le Château Grillet, près de Lyon, le domaine d'Eugénie et le Clos de Tart en Bourgogne, pour ne citer que ces trois exemples, partagent également des projets ambitieux avec le pépiniériste, sur une même ligne d'exigence de qualité. 

Message d'espoir

On le devine sans peine : aujourd'hui, Lilian Bérillon en a gros sur le coeur. Mais pour lui, une chose est sûre : le danger ne provient pas du changement climatique, mais bien de l'incapacité des hommes à s'y adapter par la perte volontaire de la richesse de leur patrimoine et par l'oubli des gestes. Le combat de ce lanceur d'alerte est rude. S'il concède n'être qu'un acteur minuscule qui n'a produit en 2016 qu'à peine deux millions de plants de vigne sur les 225 millions d'unités produites en France, premier producteur mondial dans ce domaine, sa voix et son expérience se distinguent des autres et portent, avec force. Son message de bon sens devrait inspirer au-delà des producteurs de grands vins, car il véhicule aussi l'espoir que tous les hommes qui cultivent la vigne puissent continuer à reproduire ce miracle millénaire qu'est le vin, le sang de la terre, y compris celui que boivent M. Mme Tout-le-monde. Et plus largement, que l'humanité réussisse à préserver la biodiversité, garante de toute forme de vie sur terre.

Cathy Lafon 

►A LIRE 

  • "Le jour où il n'y aura plus de vin", de Laure Gasparotto et Lilian Bérillon. Editions Grasset, 17 euros.

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  • Les articles de Ma Planète sur le vin : cliquer ICI
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