Pollution de l'océan : une décharge dans le Pacifique, grande comme trois fois la France
Baptisé le "huitième continent de plastique", la gigantesque décharge qui flotte dans le Pacifique est grande comme trois fois la France. Illustration photo archives AFP
S'il en est qui doutent encore de la pertinence des Initiatives océanes de Surfrider, ces grandes opérations rituelles de nettoyage de printemps de nos plages d'Aquitaine, dont la dernière édition a eu lieu le week-end dernier, voici de nouvelles informations qui devraient les convaincre définitivement. Composée de milliards de morceaux de déchets plastique pesant au total quelque 80 000 tonnes, la gigantesque décharge qui flotte dans le Pacifique est bien plus importante qu’estimé précédemment. Ce "huitième continent de plastique" s’étend en réalité sur une surface qui représente l'équivalent de trois fois la France, selon une nouvelle étude publiée le jeudi 23 mars 2018 dans la revue Scientific Reports. Une estimation 4 à 16 fois supérieure aux précédentes.
Alors que la production mondiale de plastique dépasse 320 millions de tonnes par an, une partie de ces sacs, bouteilles, emballages, filets de pêche abandonnés et des microparticules de plastique dégradées s’agglutinent dans plusieurs zones des océans, sous l’effet des vortex, ces tourbillons géants formés par les courants marins, menaçant animaux marins et écosystèmes.
C’est le plus important de ces vortex, situé à mi-chemin entre Hawaï et la Californie et connu comme la "grande zone d’ordures du Pacifique" (Great pacific garbage patch, GPGP), que sont allés scruter les auteurs de l’étude. Estimant que tout km2 contenant plus d’un kilo de plastique fait partie de cette poubelle du Pacifique, ils évaluent sa taille à environ 1,6 million de km2, soit trois fois la France continentale, même s’il ne s’agit pas d’une masse compacte.
Augmentation "exponentielle"
Et en se basant sur la récolte de 1,2 million d’échantillons et sur des survols aériens, ils concluent aussi que 1 800 milliards de morceaux de plastique, pesant un total de quelque 80 000 tonnes, flottent dans ce magma qui "augmente de façon exponentielle". Ces estimations sont ainsi 4 à 16 fois supérieures à deux précédentes études de ce vortex, soulignent les chercheurs. Un résultat en partie lié à des méthodes d’analyse "plus fiables", les précédentes s’étant surtout concentré sur les micro-plastiques. Mais qui pourrait "aussi être attribué à l’augmentation de la pollution plastique des océans dans la zone ", notamment en lien avec les débris du tsunami japonais de 2011.
Une majorité de gros déchets
De manière générale, le plastique représentait 99,9% des déchets récoltés, mais pas nécessairement sous forme microscopique comme s’y attendaient les scientifiques. Ils ont été surpris de découvrir qu’en poids, plus des trois quarts de cette décharge étaient constitués de débris dépassant 5 cm et pour près de la moitié, de matériel de pêche abandonné. Ces cordes et ces filets "fantômes" tuent beaucoup "de poissons, de tortues, et même de mammifères marins" qui s’empêtrent dedans, explique l’auteur principal de l'étude, Laurent Lebreton, membre de la fondation Ocean Cleanup.
Une "bonne nouvelle"... toute relative
Mais c’est malgré tout "plutôt une bonne nouvelle" parce que "les gros débris sont bien plus faciles à collecter que les micro-plastiques", souligne-t-il. "Ces résultats nous fournissent des données-clés pour développer et tester notre technologie de nettoyage", mais alertent également sur "l’urgence de s’attaquer au problème de la pollution aux plastiques", a ajouté dans un communiqué Boyan Slat, fondateur de Ocean Cleanup, porteur d'un projet de grand nettoyage de ce fameux gyre où s'accumulent des débris de matière plastique.
Des barrières flottantes pour nettoyer l'océan des plastiques
Le jeune Néerlandais, qui s’est lancé dans cette avenure à 18 ans, développe avec ses 75 ingénieurs un système de barrières flottantes destinées à attraper les plastiques. Quand il sera opérationnel, il espère vider 50% de la décharge du Pacifique en 5 ans. Mais ces barrières ne pourront pas ramasser les morceaux inférieurs à un centimètre, ce qui laisse entier le problème des micro-plastiques, particulièrement toxiques pour l'environnement. Ces microparticules, baptisées "larmes de sirènes" par Surfrider, sont également néfastes pour la santé humaine: ingérées par les poissons, elles entrent ensuite dans la chaîne alimentaire et se retrouve au final dans nos assiettes. Combien de temps mettront-ils à disparaître ? "Ça dépend du type de polymère, des conditions environnementales, mais la réponse sincère est que nous ne savons pas vraiment", reconnaît Laurent Lebreton.
L'inconnu de la pollution en eaux profondes
L’étude s’interroge également sur le risque que ces particules finissent pas couler. "Le niveau de la pollution plastique en eaux profondes et sur les fonds marins sous la GPGP reste inconnu", estiment les chercheurs, qui appellent à d’autres échantillonnages. Malgré le constat inquiétant, Laurent Lebreton refuse de désigner des coupables."Les gens voient la quantité de matériel de pêche et pointent du doigt l’industrie de la pêche, mais ils mangent aussi du poisson. Ce n’est pas la question d’un secteur ou d’une région, c’est principalement notre mode de vie et de consommation, les plastiques à usage unique, la société du tout-jetable", souligne-t-il. De toute évidence, le problème concerne chacune d'entre nous et ne se résoudra qu'à l'échelle mondiale.
Cathy Lafon avec l'AFP
►A LIRE
- L'étude publiée dans Scientific Reports, "River plastic emissions to the world’s oceans" : Cliquer ICI
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►EN CHIFFRES
- En 50 ans, de 1964 à 2014, la production mondiale de plastique a été multipliée par 20.
- 23% des emballages plastique sont recyclés en France après le tri, soit à peine un quart. L'Hexagone, mauvais élève de l'Europe, a choisi de se limiter aux bouteilles et flacons, qui représentent 40% des emballages plastique et actuellement, seul un flacon sur deux est recyclé.
- 5 millions de tonnes d’emballages ménagers sont jetés en France chaque année et 206 kg de déchets plastique atterrissent chaque seconde dans les océans, selon Surfrider Foundation.Ils provoquent chaque année, par ingestion ou enchevêtrement, la mort de 1 million d’animaux marins. Et en bout de chaine, nous retrouvons une partie de ce plastique dans nos assiettes, dans le poisson que nous mangeons…