Notre-Dame-des-Landes : une victoire "historique" pour l'écologie
Scène de joie à l'annonce de l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes dans la ZAD, le 17 janvier 2018. Photo AFP
Les écologistes ont explosé de joie ce mercredi midi, partout en France. A commencer par les habitants de la commune rurale de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), soulagés après l'annonce de l'abandon du projet d'aéroport qui devait se construire sur leurs terres, et bien sûr sur les zadistes qui occupent le site et ont créé un véritable village alternatif dans le bocage nantais, intégré à son écosystème. Edouard Philippe a tranché : Notre-Dame-des-Landes, c'est "non". Au terme d'un demi-siècle de controverses, le feuilleton du dossier emblématique des luttes écologiques en France a enfin trouvé son épilogue.
"Les conditions ne sont pas réunies"
Après un dernier rapport confié à trois médiateurs et d'ultimes consultations, le premier ministre d'Emmanuel Macron a estimé que "les conditions ne sont pas réunies, et que cet aéroport ne peut se faire dans un contexte d'opposition exacerbé. Notre-Dame-des-Landes, c'est l'aéroport de la division". Un signal politique fort qui brise les vieux codes politiciens, pour prendre le parti de la défense de l'environnement, en confortant par la même occasion Nicolas Hulot, même s'il ne règle bien évidemment pas tous les problèmes.
"Une trahison"
On s'en doute, hier soir, tout le monde n'a pas sablé le champagne pour faire la fête. Pour les pro-aéroports, la pillule est amère. A droite, chez Les Républicains (LR) comme au Front national (FN), les élus ont la dent dure. Mais aussi dans les rangs socialistes. A l'instar de l'ancien maire de Nantes et ex-premier ministre de François Hollande, Jean-Marc Ayrault, ils sont nombreux à dénoncer "un déni de démocratie". L'actuelle maire de Nantes et présidente de Nantes métropole, Johanna Rolland, qui a demandé à être reçue par le président de la République, estime que l'abandon "bafoue clairement l’expression démocratique qui s’est exprimée le 26 juin 2016. Une majorité de citoyens s’est exprimée en faveur du transfert et 18 mois après l’Etat leur dit : "Votre vote ne compte pas !"". Pour elle, il s'agit d'"une trahison". Les riverains de l'aéroport existant qui fera l'objet d'une extension, les habitants de Saint-Aignan-Grandlieu, eux sont en colère.
"Un choix assumé et écologique"
Au micro de Léa Salamé sur France Inter ce matin, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, assurait lui qu’il n’y a pas eu de capitulation mais que le gouvernement a fait un choix assumé "un choix écologique". Pour lui, "Il n’y a pas de gagnants et pas de perdants dans cette affaire" et ce dossier "méritait une analyse plus approfondie que le tout ou rien". De fait, chez les écologistes, en revanche, le gouvernement marque des points et Nicolas Hulot sort renforcé de cette séquence à haut risque. Pour faire court : c'est la fête. Inespérée jusqu'au dernier moment, tant ils sont plus habitués à perdre leurs combats qu'à les gagner.
"Une bonne nouvelle pour la biodiversité"
N'en déplaise à Benjamin Griveaux et Nicolas Hulot, qui martèle lui aussi ce jeudi matin dans "Le Parisien" que "Ce n'est une victoire pour personne", ce mercredi 17 janvier 2018 restera pour eux une journée historique. En témoigne l'avalanche des réactions positives des associations environnementales et des ONG (Greenpeace, Fondation Nicolas Hulot, etc), dont celle de la LPO qui salue "une bonne nouvelle pour la biodiversité". L'association rappelle notamment que "le site concerné est constitué pour 98 % de sa surface de zones humides, en tête de bassins versants donnant naissance à 9 cours d’eau, qui alimentent la Vilaine et la Loire. Ces zones humides permettent la régulation des eaux (quantité), leur épuration (qualité) et l'accueil d’une grande biodiversité."
Côté politique, de Yannick Jadot à Cécile Duflot en passant par José Bové... tous nagent dans le bonheur. Du jamais vu. Julien Bayou d'Europe Ecologie Verts se félicite d'"une décision que les écologistes attendaient depuis des décennies. Outre l’aspect dispendieux, la construction d’un nouvel aéroport aurait engendré des dégâts sociaux et environnementaux considérables et irréversibles." Edouard Philippe a même récolté, fait assez rare pour être souligné, les félicitations des Insoumis à l'Assemblée nationale...
Un "laboratoire foncier" comme le Larzac ?
Dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le 17 janvier 2018. Photo AFP
José Bové estime que l'abandon du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes "signe la victoire du bon sens contre un choix du passé". Cet opposant de la première heure qui salue le courage d'Emmanuel Macron, Edouard Philippe et Nicolas Hulot, plaide désormais pour un nouvel avenir de la ZAD similaire à l'expérience du Larzac dans les années 1970. Le député européen écologiste sait de quoi il parle : il a largement participé à la recomposition agricole et foncière du Larzac. Notre-Dame-des-Landes pourrait ainsi devenir, selon lui, un "laboratoire foncier". Une possibilité cohérente avec ce qu'a dit ce mercredi le premier ministre. Edouard Philippe a annoncé que la zone devra revenir à l'état de droit mais il a aussi précisé que "les terres retourneront à leur vocation agricole" et ne seront pas préservées pour de nouvelles infrastructures. Si les routes et les accès doivent être libérés, l'Etat n'envisage pas d'évacuation toutefois durant les trois mois qui viennent, y compris dans les cabanes et bâtiments squatté, jusqu'à la fin de la trêve hivernale, le 31 mars. Ce qui laisse le temps, d'ici là, à la discussion.
Et maintenant ?
Au premier rang des problèmes à régler pour le gouvernement, reste bien évidemment celui de la poignée de zadistes radicaux (environ 150 sur les 500 qui occupent la zone) qui se disent déterminés à rester sur place, et à qui le premier ministre a fixé un ultimatum pour évacuer les lieux au printemps. D'ici là, il s'agit de trouver des solutions qui permettront de mettre fin à une occupation illégale, sans violence, en fixant les conditions d'un avenir durable et écologiquement responsable pour Notre-dame-des-Landes. Un rude défi pour le gouvernement mais qui engage aussi la responsabilité morale des occupants.
La ZAD du bocage nantais, ce sont 1 000 hectares de terres que le futur aéroport aurait artificialisés, à l'heure où l'on tire la sonnette d'alarme sur la disparition des terres agricoles. On y trouve aujourd'hui quelque 70 lieux de vie et de nombreuses activités. Entre autres : la ferme de Bellevue, occupée par des paysans et des zadistes, des vaches qui produisent du lait, une boulangerie, du maraîchage, une auberge, une forge, une tannerie, un mur d'escalade, des groupes de musique, une bibliothèque, des ateliers de réparation de voitures ou d'engins agricoles, et même un journal hebdomadaire, "ZAD News". Quel sera leur avenir, dans ce nouveau cas de figure ? A partir du 30 mars, la fin de la trêve hivernale, "ceux qui n’ont pas de titre de propriété seront expulsés", a rappelé ce matin Benjamin Griveaux, toujours sur France Inter. Quant aux anciens propriétaires expropriés, des terres leur reviendront-elles ? Voudront-ils les cultiver ? Les bâtiments qui ont été construits sans permis de construire seront-ils légalisés, à condition d'offrir toutes les garanties de sécurité et d'hygiène, comme ce fut le cas au Larzac dans les années 80 ? Pour en savoir plus, il faut d'abord attendre la sortie de l'expropriation qui remettra les choses à plat.
Un choix qui transcende les clivages politiques
Dans l'histoire du pays, cette décision politique a seulement trois précédents : les abandons en mai 1981, par François Mitterrand, lors de son élection à la présidence de la République, des projet d'une centrale nucléaire à Plogoff (Bretagne) et de l'extension du camp militaire du Larzac. Puis, en 1996, le projet démesuré Superphénix à Creys-Malville, stoppé par Lionel Jospin, alors premier ministre de François Mitterrand. Mais ici, le contexte politique est radicalement différent. Le choix fort d'Emmanuel Macron et de son premier ministre, Edouard Philippe, est une vraie première, en ce qu'il va en effet au delà des clivages et des partis. C'est en effet un gouvernement "ni de gauche ni de droite" (ou "et de gauche et de droite") qui vient de donner raison aux écologistes, dont notamment les "politiques" d'EELV qui ne sont pas dans le gouvernement mais dans l'opposition. Et ce, au grand dam d'un grand nombre d'élus socialistes pro-aéroport qui, jusqu'au naufrage de la présidentielle de 2017, étaient leurs alliés traditionnels sur l'échiquier politique.
"Gouverner, c'est choisir".
En clair, même s'il est éminemment politique et tient compte des objectifs de la France pour le climat définis dans le cadre de l'Accord de Paris et la protection de la biodiversité, le choix du gouvernement qui le fâche (momentanément) avec certains de ses alliés ex-LR ou ex-PS, est tout, sauf "politicien". L'abandon de Notre-Dame-des-Landes réalise une des promesses implicites de campagne du président Macron, en ce qu'il brise concrètement les vieux codes d'une politique à la française qui avait pour conséquence de bloquer trop souvent le pays. Faut-il y voir le début d'un nouvelle ère dans l'Hexagone pour l'environnement comme pour la politique, au sens noble du terme ? En tout cas, il y a du changement et le gouvernement fait vraiment son job. Car comme l'écrit fort justement hier Alain Juppé, le maire de Bordeaux, à propos de Notre-Dame-des-Landes, après tout, "Gouverner, c'est choisir".
Enfin, peut-être n'en ont-ils pas conscience, mais Macron et son gouvernement viennent d'envoyer un énorme signal d'espoir à toute la jeunesse qui s'est mobilisée avec sincérité contre l'aéroport. Non pour tout casser et mettre le bazar, mais bien parce qu'elle veut réparer les erreurs environnementales des générations précédentes et construire un monde durable, le monde de sa génération. Un gage de confiance totalement inédit sur le chemin de la réconciliation de la jeunesse avec la politique et la démocratie qui n'a pas de prix.
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