Arrivée de la LGV en Aquitaine : pourquoi les écolos n'ont pas fait la fête
L'entrée en gare de Bordeaux de la première rame de LGV, le 1er juillet 2017. Photo Sud Ouest / Laurent Theillet
Les écolos n'étaient pas sur les quais de la gare Bordeaux-Saint-Jean pour faire la fête lors de l'inauguration de la LGV, les 1er et 2 juillet derniers. Ce n'était pas une surprise. Sur ce dossier, nul ne pourra taxer les écologistes de girouettes. Depuis les débuts de la genèse de ce projet et tout au long des cinq ans qu'aura duré le chantier titanesque de la LGV, associations environnementales et politiques d'Europe Ecologie-Les Verts, n'auront pas varié d'un poil : pour eux, le gain de temps de la LGV ne justifie ni son coût économique (pas plus pour l'usager que pour le contribuable), ni son coût environnemental. Bref, si le train est est un mode de déplacement durable bon pour la planète, tel n'est pas le cas de la Ligne à grande vitesse dont les écolos jugent l'addition beaucoup trop salée au vu du seul gain de temps réalisé. Etonnamment, le nouveau gouvernement semble désormais vouloir leur donner raison. Explications.
1. Le coût du voyage
La LGV met Paris à 2h04 de Bordeaux et Angoulême à 35mn, c'est l'usager qui va payer la note, selon les écologistes, car les billets de train vont augmenter de 10 à 15 euros. En revanche, l’arrivée de la LGV ne remet pas en cause le trafic aérien, plus polluant, qui va s’intensifier pour concurrencer cette nouvelle offre, anticipent les écolos, qui regrettent, en revanche, que la LGV intensifie une offre de transport à deux vitesse.
2. Le coût environnemental du chantier
On est là au coeur de la question brûlante de l'impossible compensation écologique des grands chantiers désastreux pour l'environnement, la faune et la flore, mais aussi les terres agricoles. Le chantier LGV a consommé entre 15 et 17 ha de terre au kilomètre, soit entre 5 100 et 5 800 ha sur les 340 km de ligne, rappellent les écologistes. À ce jour, 2 250 ha de surface de mesures compensatoires ont été validées par les services de l’Etat, sur un total d’environ 3 500 ha à compenser. Plusieurs associations soulignent que ni leur budget ni leur localisation ne sont à ce jour clairement établis. Par ailleurs, en décembre dernier, Cosea et DTP, filiales de Vinci et Bouygues Construction pour la LGV, ont été condamnées à plus de 40 000 euros d’amende pour ne pas avoir respecté les règles fixées par le préfet d’Indre-et-Loire, dans le cadre de la partie du chantier dans ce département.
3. Le coût du modèle économique
Le modèle autoroutier du partenariat public-privé (PPP) et, plus précisément, de la concession, a prévalu dans le montage d’un projet au coût global de 9 milliards d’euros, 7,8 milliards pour la LGV proprement dite et 1,2 milliard pour les aménagements. Ce qui établit "le coût de chaque minute gagnée entre Bordeaux et Paris à 130 millions d’euros", calculent les écologistes. L'opération est-elle rentable ? Pour la SNCF, pas vraiment. Le directeur de la SNCF, Guillaume Pepy considère déjà "que les perspectives de hausse du trafic sont dangereusement élevées, que trop de trains vont rouler (18,5 allers-retours par jour) au détriment de la rentabilité et que cette ligne lui fera perdre 90 millions d’euros dès 2017". "Seul le concessionnaire privé LISEA, filiale de VINCI, tirera des bénéfices de cette mise en service, sur une durée de concession exceptionnellement longue (50 ans), qui a été soigneusement négociée pour être à son seul avantage", pointent les écologistes.
4. Le coût social pour les Bordelais
L’arrivée de la LGV fait exploser le prix de l’immobilier à Bordeaux. Les heureux propriétaires d'immeubles, appartements et maisons, aux revenus parfois modestes, désormais assis sur de potentiels tas d'or, ne s'en plaindront pas. Mais le revers de la médaille, c'est que "les Bordelais qui n'ont pas la chance d'être déjà propriétaires, ont de plus en plus de mal à se loger et quittent Bordeaux pour la périphérie", dénoncent les écologistes. Avec comme première conséquence "l'augmentation de l’étalement urbain, qui contribue à imperméabiliser et bétonner nos sols", au détriment des terres agricoles et de l'environnement. Et qui impacte aussi sur le pouvoir d'achat des habitants, contraints de consacrer une part importante de leur budget en déplacement, et recourent à la voiture quand les transports en commun, le train notamment n'est pas au rendez-vous ou à la hauteur des attentes et des besoins. Pas vraiment bon, ni pour le portefeuille, ni pour la pollution de l'air et le climat.
Une "pause"
"En s'acharnant à faire vivre un projet de LGV au Sud de Bordeaux, qui n’est viable ni financièrement, ni juridiquement, on perd un temps précieux que l’on pourrait consacrer à la rénovation des lignes existantes", concluent les écologistes. La nouveauté, c'est que le président Emmanuel Macron, son ministre de l'Ecologie Nicolas Hulot et sa ministre des transports, Ellizabeth Borne, qui ont annoncé début juillet vouloir faire une "pause" dans le lancement de nouvelles grandes infrastructures ferroviaires pour développer et améliorer les lignes régionales empruntés quotidiennement par les Français, semblent enfin leur donner raison.
"Les priorités ont changé"
Après le rejet par le tribunal administratif de la déclaration d'utilité publique pour la liaison Bordeaux-Toulouse, la plus avancée, la ministre des transports a annoncé que l'Etat ferait appel, pour des raisons de "cohérence", mais sans grande conviction. "La LGV jusqu'à Toulouse, cela coûte 9 milliards, rappelle-t-on au gouvernement. Où voulez vous qu'on les trouve ? Il va falloir qu'un certain nombre de d'élus comprennent que les priorités ont changé".
Continuer à faire évoluer le rail
Evénement exceptionnel qui montre la réussite du savoir-faire tricolore, la double inauguration du 2 juillet dernier des lignes à grande vitesse Rennes-Paris et Bordeaux-Paris pourrait donc bien être la dernière avant longtemps. Il n'est pas certain que la France, épinglée par la Cour des comptes pour dérapage des finances publiques, ait encore les moyens d'un tel investissement (plus de 12 milliards d'euros). Ce qui ne veut pas dire que le rail ne doit pas et ne peut pas évoluer pour offrir des liaisons plus rapides aux usagers. "Aujourd’hui, on veut prolonger la LGV au Sud de Bordeaux, mais on y serait déjà, depuis longtemps et pour beaucoup moins cher, avec un train qui roulerait à 250 km/h et qui mettrait seulement 8 minutes de moins qu’un TGV pour relier Bordeaux à Bayonne", assure les représentants girondins d'Europe Ecologie-Les Verts. Une solution qui mérite au moins qu'on l'étudie sans parti pris.
PLUS D'INFO
- En France, chaque seconde, 27m2 de terre disparaissent sous le béton, soit l’équivalent du département du Loiret tous les 7 ans.
- À la demande d’élus du Lot-et-Garonne, un cabinet indépendant, Claraco, a étudié la modernisation des lignes pour permettre aux trains de rouler à 220 km/h au lieu des 320 km/h. Il faudrait seulement débourser 2,8 milliards d’euros entre Bordeaux et Toulouse (contre 5,9 milliards pour cette même portion de LGV). Et, comme les voies existantes sont plus directes, le trajet ne durerait que 6 minutes de plus.
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