Nucléaire : pourquoi l'ASN a donné son feu vert au lancement de l'EPR de Flamanville
C'est peu de dire que la position de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur l'EPR de Flamanville (Manche), une étape cruciale pour l'ensemble de la filière tricolore, était attendue. EDF et Areva dans leurs petits souliers et les écolos au taquet, les experts se sont activés ces deux derniers jours pour finaliser leurs rapports sur les anomalies de la cuve du réacteur et de son couvercle, avant que le gendarme du nucléaire rende ce mercredi un premier avis sur le premier modèle français d'un réacteur de troisième génération. Favorable, au grand dam des écologistes et des antinucléaires, mais aussi prévisible, au vu de l'énormité des enjeux économiques pour l'atome français. Explications.
Bons pour le service
Après plus de deux ans de procédure et de batteries de tests, les experts ont unanimement conclu à la mauvaise composition chimique de la cuve et de son couvercle, la "conduisant à une diminution des marges de sûreté". Malgré leur non conformité, l'ASN a pourtant jugé bons pour le service les deux pièces du réacteur du premier EPR pour la fin 2018 : "les caractéristiques mécaniques du fond et de la cuve sont suffisantes au regard des sollicitations auxquelles ces pièces sont soumises, y compris en cas d'accident", a conclu l'autorité, au grand soulagement d'EDF et d'Areva. Le patron du gendarme du nucléaire, Pierre-Franck Chevet, a rappelé au passage que l'anomalie bien réelle de la cuve était "technique" et non liée aux "irrégularités" détectées à l'usine Areva du Creusot.
Fessenheim
Celles et ceux qui suivent attentivement le feuilleton haletant de la transition énergétique à la française et de l la réduction de l'atome dans le bouquet énergétique français, ne manqueront pas de relever que ce feu vert qui lève la lourde hypothèque (provisoirement ? ) pesant sur toute la filière française, est également déterminant pour l'arrêt de la centrale de Fessenheim, dont la date est conditionnée à celle du démarrage de Flamanville.
Un nouveau couvercle en 2024
La position de l'ASN est toutefois un poil paradoxale : pour autant, "Les marges de manoeuvre sont réduits par rapport à une cuve normale", a aussi précisé Pierre-Franck Chevet. Tout en donnant son feu vert, la haute autorité de l'atome exige ainsi d'EDF qu'elle multiplie les contrôles sur l'EPR. Et surtout, qu'elle change "au plus vite" le couvercle de la cuve du réacteur sur lequel les-dits contrôles sont difficiles voire impossibles à réaliser. Le remplacement du couvercle, c'est une opération à 100 millions d'euros, longue (de l'ordre de sept ans) et complexe à laquelle l'électricien français s'est préparé. Un nouveau couvercle aurait déjà été commandé par Areva au Japon à l'industriel JSW, et pourrait être installé en 2024, indiquaient le mercredi 28 juin nos confrères de France Info.
Une décision "éminemment politique"
Pas contents du tout d'une décision qui les inquiète au plus haut point, les écolos sont vent debout. Greenpeace, notamment, juge "éminemment politique" la position de l'ASN qui, selon l'organisation, "souligne que l’anomalie constatée réduit les marges en matière de sûreté" mais "accepte que ces pièces soient utilisées en l'état à la condition de contrôles supplémentaires et de la fabrication d'un nouveau couvercle à installer d'ici fin 2024". "Un refus du gendarme du nucléaire signifierait tout simplement la fin de l'industrie nucléaire française", affirme l'ONG qui refuse que l'on brade la sécurité des population et de tout un territoire du pays au seul profit des intérêts économiques d'EDF et d'Areva.
Une aide de 4,5 milliards d'euros pour Areva
Démarré en 2004, le chantier de Flamanville devait coûter 3,3 milliards d'euros et entrer en service en 2012. Après avoir cumulé les déboires de tous ordres et les critiques de l'ASN sur la qualité du béton utilisé pour sa construction, la mise en service de l'EPR avait déjà fait, en 2010, l'annonce d'un premier report à 2014. Cerise sur le gâteau, la révélation par la haute autorité du nucléaire elle-même, d'une anomalie dans le forgeage par Areva de la cuve en 2015 (une concentration excessive en carbone), avait encore repoussé cette entrée en service à 2018. Quant au coût final de l'EPR, il est désormais réévalué à 10,5 milliards d'euros. Sans compter le coût du nouveau couvercle, évalué à 100 millions d'euros. Une somme délirante, mais une paille au regard de l'impact financier qu'aurait eu pour la filière le rejet de la validation de la cuve elle-même, qui conditionnait pour l'Europe le sauvetage d'Areva en faillite, à qui l'Etat a prévu de verser une aide de 4,5 milliards d'euros.
Un avis à confirmer
Au final, l'avis de l'ASN sauve donc Areva. Encore provisoire, il doit encore être soumis à consultation du public, avant une décision définitive en octobre prochain. Sans attendre la décision des experts, le réseau Sortir du nucléaire, fort d'une pétition anti-EPR rassemblant 35 000 signatures, avait publié une lettre ouverte à Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire : "M. Hulot, protégez les populations, pas les intérêts de l’industrie nucléaire !", en réclamant à l’ancien présentateur d'"Ushuaïa" de ne pas signer les décrets autorisant la mise en service du réacteur EPR de la centrale de Flamanville. Dès l'avis de l'ASN connu, ce mercredi, Greenpeace et les écologistes ont également interpellé Nicolas Hulot, décidément ultra sollicité. A suivre.
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