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Grenouilles interdites de mare en Dordogne par la justice : quid du droit de l'environnement ?

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Cinq espèces protégées sont recensées dans la mare dont Michel et Annie Pecheras sont propriétaires, en Dordogne, et que la justice veut faire combler. Photo Sud Ouest /Arnaud Loth

Ce n'est pas un "cloche merle" mais un "mare grenouille". Dans un charmant village de Dordogne, à Grignols, en pleine campagne, une quarantaine d'innocentes grenouilles sont prises en otage dans un conflit de voisinage.

Révélé par "Sud Ouest" le 10 juin dernier, ce "Froggate" a déjà motivé deux pétitions et ému la France entière. Début juin, en pleine Fête des mares (sic), l’ironie du sort a voulu qu’un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux impose à un couple vivant en contrebas de leur maison à Grignols, un hameau isolé de Dordogne, le comblement de leur mare de 300 m2 au motif du caractère «insupportable» pour leurs voisins, des coassements des batraciens qui y barbotent.

Une "affaire vaseuse"

Certes, il ne faut surtout pas commenter les décisions de justice. Dans l'affaire des grenouilles de Grignols, on ne se gênera toutefois pas pour outrepasser cette règle, fondement de notre démocratie. Affirmons le sans détour : l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux est ridicule. Les grenouilles coassent depuis des millénaires, y compris dans ce village de Dordogne où "elles ne gênaient personne, pas même le voisin plaignant", écrivent dans un communiqué commun l'Aspas (Association pour la protection des animaux sauvages), la SNPN et Cistude Nature, trois associations de protection de la nature qui en ont vu d'autres, et qui estiment que "cette affaire vaseuse ne serait rien d’autre qu’un conflit de voisinage".

Cherchez l'erreur

En 2012, le tribunal de Périgueux, saisi par une plainte de voisins, avait d'ailleurs tranché en faveur des propriétaires de ladite mare, Michel et Annie Pecheras. Cherchez l'erreur. Selon les époux aujourd'hui condamnés, expliquent les associations, une mare a toujours été présente à cet endroit. Leur seule action a été de l’éloigner –justement– de la maison de leur voisin. Ledit voisin avait lui-même une mare chez lui, qui aurait été comblée pendant le procès... Étrange. Abritait-elle, elle aussi, des espèces protégées ? Qui s'en soucie, dans une affaire dont l'épais dossier encombre depuis plus quatre ans des tribunaux, paraît-il, asphyxiés, et qui aura coûté près de 10 000 euros en frais de justice au couple condamné, alors qu’il n’y a eu aucune conciliation à l’amiable ?

60 décibels

affaire,grenouille,justice,cour d'appel,bordeauxPourtant, si nul n'est censé ignorer la loi, nul n'est censé ignorer non plus que les amphibiens sont des animaux utiles, en voie de raréfaction, et protégés par les lois de la République, que l'on ne peut priver de leur domicile selon son bon vouloir...  L’association Cistude Nature a ainsi inventorié dans la mare incriminée au moins quatre espèces strictement protégées : alyte accoucheur, triton palmé, crapaud commun et rainette méridionale. Dont les coassements, au printemps, produisent de façon discontinue une gêne sonore de 60 décibels (l’équivalent d’une machine à laver ou d’un aspirateur) selon une étude officielle menée par un huissier de justice.

Larmes de crocodiles

Comment comprendre, à l'heure où l'on verse des larmes de crocodiles à longueur de colonnes sur la chute de la biodiversité et le rythme inédit de l'extinction des espèces sur la planète, que les tribunaux puissent résumer les coassements d’amour des grenouilles à une pollution sonore, un trouble du voisinage empêchant de dormir la fenêtre ouverte par temps chaud ? Comment ne pas pointer l'absurdité d'une telle décision de justice, s'interrogent les défenseurs de la nature, quand la France se dote (péniblement) d'une loi destinée à protéger sa biodiversité et à reconquérir ses espaces naturels et que l'"on tente plus largement de rapprocher l’homme de la nature, en renouant une culture du vivre ensemble au point de l’inscrire comme le premier objectif de la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) 2011-2020" ?

Et si on condamnait le vent ?

Quelle sera la prochaine étape des juges ? Condamner le chant des oiseaux ou encore le vent pour ses sifflements ? Que dire alors des avions qui volent, des trains, des trams et des voitures qui roulent, et des perpétuels bruits des tondeuses, tronçonneuses et autres débroussailleuses qui sévissent, eux, impunément toute l’année ? La cour d’appel de Bordeaux a donné un délai de quatre mois au couple pour combler la mare sans préciser si les grenouilles devaient être sacrifiées dans cette opération. Michel et Annie Pecheras, décidés à se battre jusqu'au bout, quitte à aller devant la Cour européenne des droits de l'homme (ou des animaux), devaient  décider de se pourvoir en cassation.

Quid du droit de l'environnement ?

Morale de cette triste fable de la bêtise des temps modernes : "Force est de constater que le droit de l’environnement n’a pas été introduit dans les débats : les amphibiens incriminés étant protégés, l’on ne peut détruire leur habitat sans une dérogation accordée par le préfet", concluent ASPAS, le SNPN et Cistude Nature.

Cathy Lafon

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