Réchauffement climatique: le Champagne invente les cépages du futur
Inscrit au patrimoine mondial de l'Humanité par l'Unesco depuis juillet 2015, le Champagne veut innover contre le changement climatique. Photo AFP
En Champagne, on ne joue plus à l'autruche en débattant du réchauffement climatique. On le vit comme une réalité et on a décidé de s'y adapter, afin de préserver la typicité du roi des vins aux bulles magiques, synonymes de fête et de bonheur. Face au changement climatique qui pourrait dénaturer le champagne et entraîner le développement des maladies de la vigne, la filière viticole champenoise vient de lancer un ambitieux programme de création de nouveaux cépages plus résistants.
Plan carbone
Eco-exemplaire, la Champagne a été la première région viticole à mettre un place un plan carbone. Les interventions dans les vignes ont été réduites de moitié et les engrais à base d'azote progressivement remplacés par de nouveaux, d'origine organique. Selon les professionnels, les émissions de CO2 par bouteille produite ont été réduites de 15% en 10 ans...
Cette année, le vignoble champenois passe à la vitesse supérieure et s'attaque au réchauffement climatique. Son programme, conduit en partenariat avec l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Colmar et l’Institut français de la vigne et du vin de Montpellier, s’étale sur 15 ans, et vise à créer quatre à cinq nouvelles variétés de raisin pour anticiper les défis environnementaux à venir.
"Dans 25 ans, il sera trop tard"
"Nous travaillons sur du très long terme et cela pourrait changer les fondamentaux des cépages de l’appellation". Thibaut Le Mailloux, directeur de la communication du Comité Champagne
"Il s’agit de croiser les cépages autorisés en Champagne avec des variétés naturellement résistantes à certaines maladies ou présentant des particularités intéressantes, comme une maturation tardive par exemple, afin d’obtenir une résistance naturelle ou une aptitude culturale mieux adaptée à de nouvelles conditions climatiques", précise le Comité du vin de Champagne dans un communiqué. L'organisme interprofessionnel qui regroupe vignerons et négociants estime qu'il y a plus qu'urgence, et ne mâche pas ses mots : "Il faut lancer la recherche absolument maintenant car dans 25 ans il sera trop tard: il s’agit d’abord d’un impératif moral".
Hausse des températures et des phénomènes météorologiques extrêmes
L’évolution des conditions climatiques a déjà un impact sur le cycle de la vigne en Champagne. Selon l’interprofession, depuis les années 1990, les dates de floraison et de vendange commencent environ deux semaines plus tôt par rapport aux années 1980. Depuis plus de vingt ans, les grappes sont plus grosses et présentent des taux d’alcool en progression de près d’un degré. Des teneurs en CO2 plus élevées optimisent également la photosynthèse. Ces paramètres profitent pour le moment au champagne mais pourraient finalement le pénaliser si, comme les experts du climat le prédisent, la température moyenne globale augmente de près de 1°C à 5°C d’ici 2100. Et si les phénomènes météorologiques extrêmes (gels printaniers, sécheresse estivale) que la vigne a du mal à supporter, s'accentuent.
Sept cépages
Sept cépages sont actuellement autorisés dans l’appellation Champagne. Le pinot noir, le pinot meunier et le chardonnay sont les plus répandus devant l’arbane, le petit meslier et les pinot gris et blanc. Ces espèces sont elles-mêmes le fruit de recherches propres au savoir-faire champenois. Des croisements ont eu lieu tout au long de l’histoire de la Champagne, notamment entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, à l’époque de la crise du phylloxéra.
Hybridation avec des "super-géniteurs" et réduction de l'usage des pesticides
L’enjeu est désormais de fabriquer des variétés résistantes aux maladies de la vigne comme l’oïdium et le mildiou, favorisées par le réchauffement climatique, et par la même occasion de réduire l’utilisation de pesticides. "Nous croisons des super-géniteurs, très résistants, avec nos variétés", expliquent les professionnels du Comité Champagne. "Nous partons d’une grappe de raisins commençant à fleurir que nous fécondons avec du pollen issu de la variété qui nous intéresse. Les premiers croisements ont eu lieu en 2015. Les seconds se dérouleront à l’INRA en juin 2016".
4.000 pépins pour l'avenir du champagne
D'ici à quelques semaines, 4.000 pépins nés du processus d’hybridation vont être mis en germination dans les laboratoires de l'Inra à Colmar, avant d'être plantés dans les parcelles expérimentales de la Champagne dans six ans. A l’horizon 2030, après des tests, analyses et dégustations, quatre à cinq variétés pourraient être inscrites au catalogue français des variétés de vigne puis au cahier des charges de l’AOC. Précision utile : il ne s’agira en aucun cas d’OGM mais d’espèces hybrides obtenues grâce à la technologie.
Durant ces travaux, les scientifiques veilleront à ce que la typicité des vins soit conservée. "Garder le style champagne est vraiment un objectif central", confirme Thibaut Le Mailloux, directeur du Comité Champagne. "Nous poursuivons notre tradition d’innovation, mais le champagne restera le champagne".
Alors, contre le réchauffement climatique: "Champagne !"
Cathy Lafon, avec l'AFP
►EN CHIFFRES
- 2,7 milliards d'euros : c'est le poids des exportations de champagne en 2015, soit 33% de la valeur dégagée par les exportations françaises, selon France Agrimer.
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