Nucléaire français : sale temps en perspective pour l'ASN et la sécurité
La centrale nucléaire de Blaye, où a eu lieu le seul incident de niveau 2 du parc électronucléaire français survenu en 2015. Photo archives "Sud Ouest" / Thierry David
Cela fait plusieurs mois que l'on sent l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) peu enthousiaste, voire dubitative, face aux conséquences de la stratégie nucléaire française pour la sécurité de la filière. En janvier, Pierre-Franck Chevet, le patron de l'ASN, avait déjà tiré la sonnette d'alarme. Ce mercredi 25 mai, lors du rapport annuel au Parlement sur l'état de la sûreté et de la radioprotection en France, pour l'année 2015, il a enfoncé le clou : "En matière de sûreté, les enjeux sont sans précédent, dans un contexte préoccupant pour l'avenir ", a-t-il déclaré.
774 incidents en 2015, dont un de niveau 2 en Gironde
Ce sont 774 incidents classés "événements significatifs" qui ont été déclarés par EDF en 2015, dont 67 de niveau 1 (anomalie) et un de de niveau 2 (incident). L'événement de niveau 2 s'est produit dans la région, en Gironde, sur le site de la centrale du Blayais, où un travailleur d'une entreprise prestataire d'EDF a été irradié lors d'un arrêt programmé le 18 août 2015. La centrale de Paluel (Seine-Maritime) a également connu des incidents en série. Ainsi, le 31 mars dernier, un générateur de vapeur - une pièce de 22 mètres et de 465 tonnes - a chuté lors d'une opération de démontage. Un incident qui traduit des défaillances, selon l'ASN. Si la situation générale des installations nucléaires tricolores est toutefois globalement plutôt bonne, pour le gendarme du nucléaire français "ce jugement positif pour 2015 mérite d’être nuancé, car il s’inscrit dans un contexte préoccupant, porteur d’inquiétude pour l’avenir."
L'ASN s'inquiète notamment de l'insuffisance de ses moyens, alors qu'il va lui falloir se prononcer sur la prolongation, au-delà de quarante ans, de l'exploitation des 58 réacteurs du parc électronucléaire tricolore vieillissant. La plupart d'entre eux ont été construits dans les années 1980 et arrivent au bout de leur durée de vie initialement prévue. Les missions de contrôle de l'ASN se multiplient et alourdissent la charge de travail de l'autorité de contrôle qui réclame 150 postes supplémentaires pour pouvoir exercer correctement son travail.
Le premier avis sur la prolongation au-delà de 40 ans des réacteurs, repoussé à 2019
L'ASN avait annoncé pouvoir donner un premier avis générique, à la fin de 2018, sur une possible extension de l'activité des réacteurs au delà des 40 ans fatidiques, prévue par EDF dans son plan de stratégie énergétique. Raté. La barque de l'autorité de contrôle s'alourdit constamment et cette échéance pourrait être repoussé à 2019, soit dans trois ans. D'autant qu'aux problèmes de la cuve de l'EPR de Flamanville (photo AFP ci-contre) se sont rajoutées les irrégularités et les possibles falsifications constatées dans l'usine d'Areva du Creusot (Saône-et-Loire), d'où sont sorties quelque 400 pièces depuis 965, dont une soixantaine en fonctionnement aujourd'hui dans les centrales nucléaires françaises. Enfin, l'ASN doit aussi passer en revue la cinquantaine d'installations vieillissante d'Areva, d'ici à la fin 2017, pour la fabrication et le retraitement du combustible.
Les difficultés financières d'Areva, d'EDF et du CEA
L'ASN pointe aussi les difficultés financières des opérateurs de la filière nucléaire, Areva, en faillite et plombée notamment par les incidents à répétition des chantiers de ses EPR, EDF, mais aussi le CEA. Dernier déboire en date, TVO, l'électricien finlandais client d'Areva pour la difficile construction d'un réacteur EPR à Okiluoto (OL3), accuse le Français d'avoir rompu leurs négociations sur l'achèvement du chantier. Négociations qui devaient permettre à EDF le rachat de branche d'Areva NP, qui a signé le contrat de construction du site finlandais et que le gouvernement français voulait transférer sur Areva SA, afin d'exonérer EDF des risques potentiels de surcoût et d'arbitrage liés à l'EPR. Après une dizaine d'années de retard et des pertes financières de 5,5 milliards d'euros, ce dernier entre en phase d'essai pour un démarrage prévu en 2018.
LE RAPPORT DE L'ASN
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