Sécurité nucléaire : l'ASN tire la sonnette d'alarme
Fessenheim, la plus vieille des centrales françaises, devrait être arrêtée en 2018. Mais ensuite il faudra la démanteler, en toute sécurité : un chantier extrêmement long et coûteux. Photo AFP
A l'occasion des traditionnels voeux de nouvelle année, le 20 janvier, Pierre-Franck Chevet, le patron de l'Agence sûreté nucléaire française (ASN), a exprimé son inquiétude sur le manque de moyens financiers et humains pour assurer la sécurité des 58 réacteurs des 19 centrales nucléaires de l'Hexagone. Et celle des installations nucléaires en projet et en construction.
"Le contexte en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection est préoccupant", a-t-il en effet souligné, en faisant le point sur les enjeux auxquels la haute autorité du nucléaire est confrontée et aux priorités stratégiques en matière de sécurité nucléaire.
Voici les 5 points clés de son intervention.
1. Poursuivre les mesures post-Fukushima : une obligation
D'ici à 2017, l'ASN va recevoir les rapports de réexamen de sûreté d'une cinquantaine d'installation du CEA et d'Areva et a déjà acté l'arrêt de celles qui ne pouvaient atteindre le seuil des exigences de sûreté récentes, liées aux mesures édictées après la catastrophe nucléaire de Fukushima, en mars 2011. Parmi elles, des exigences complémentaires pour renforcer la prévention et la limitation des conséquences d'un accident grave, affectant, par exemple, le coeur des réacteurs ou les piscines d'entreposage du combustible irradié. Mais aussi des dispositions renforcées pour la gestion d'une crise par l'exploitant.
2. Construire de nouvelles installations nucléaires: pas si facile
L'ASN pointe également l'accumulation des retards dans les chantiers de l'EPR, notamment à Flamanville (Manche), qui fait lourdement déraper la facture finale et contribue à mettre Areva dans le rouge, tout en reconnaissant qu'ils ont été menés de manière satisfaisante pour la sécurité. Dernier incident en date, les anomalies sur les calottes de la cuve de Flamanville 3, font l'objet d'un examen attentif. Les process de fabrication seront passés au crible, afin de mieux comprendre l'origine du problème.
3.Démanteler les centrales et stocker les déchets radioactif : compliqué
L'ASN attire l'attention sur deux sujets délicats, très polémiques. Le premier, le démantèlement des sites nucléaires, après leur fermeture, s'avère extrêmement long et coûteux. Les exploitants devront y consacrer des moyens financiers et humains importants, et pour longtemps. Cigéo, le projet de stockage souterrain des déchets radioactifs à Bure (entre la Meuse et la Haute-Marne), très controversé, n'est décidément pas la solution miracle que certains présentent. Selon l'ASN, "les capacités d'entreposage doivent présenter des marges, en volume et en durée possible, suffisantes pour permettre de faire face aux aleas des projets de stockage". Ce n'est pas forcément le cas aujourd'hui.
4. Prolonger les réacteurs nucléaires vieillissant : pas si sûr
Le parc électro-nucléaire français est vieillissant. Depuis plusieurs années, EDF veut prolonger la durée de vie de ses réacteurs au-delà de 40 ans, à 50 ou 60 ans, arguant qu'un meilleur amortissement de ses centrales permettrait de maintenir l'électricité à un coût raisonnable. L'unique opérateur centrales françaises prévoit de consacrer 55 milliards d'euros à des travaux de maintenance d'ici à 2025, dont 10 milliards pour des améliorations de sûreté consécutifs à la catastrophe de Fukushima. Soit la bagatelle d'environ un milliard d'euros par réacteur... Pour l'ASN qui veille à la sécurité des sites, une telle prolongation ne va pas de soi.
Première décision au premier trimestre 2016
"Le contexte en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection est préoccupant", a en effet souligné Pierre-Franck Chevet, en faisant le point sur les enjeux auxquels la haute autorité du nucléaire est confrontée, et aux priorités stratégiques en matière de sécurité nucléaire. "La prolongation du fonctionnement des centrales au-delà de 40 ans n'est pas acquise : les conditions de cette poursuite restent encore largement en débat", a-t-il précisé. La prolongation suppose de garantir le maintien, au-delà du quatrième réexamen de sûreté, de la conformité des équipements importants pour la sûreté au regard des exigences pour les nouvelles installations. La haute autorité du nucléaire français doit publier sa première décision sur ce dossier au premier trimestre 2016, avant de rendre un avis générique pour l'ensemble du parc EDF en 2018 et de se prononcer ensuite, réacteur par réacteur.
5. Renforcer les moyens : indispensable
"Les industriels de la filière nucléaire sont en situation économique et financière difficile", a conclu le patron de l'ASN. En clair, ils n'ont plus les capacités financières adaptées à l'exercice de leurs responsabilité. Il faut qu'il les retrouve, et qu'ils maintiennent les compétences essentielles et les investissements de sûreté. L'ASN y sera attentive et, dans ce contexte tendu et inquiétant, la haute autorité du nucléaire demande également un renforcement de ses propres moyens, face à ces nouveaux enjeux.
Pour en savoir plus sur la sûreté nucléaire en France, rendez-vous le 17 mai prochain, où l'ASN présentera son rapport sur "L'Etat de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2015".
►EN CHIFFRES
- Selon la dernière estimation, en décembre 2012, le budget de l'EPR de Flamanville, initialement fixé à 3,3 milliards d'euros, avait plus que doublé pour atteindre au moins 8,5 milliards d'euros. Le coût probable du stockage des déchets radioactifs sur le futur site Cigéo, près de Bure, entre la Meuse et la Haute-Marne, est estimé à 36 milliards d'euros, soit le double de coût initial.
- Le géant tricolore Areva accusait un déficit abyssal de 4,9 milliards d'euros pour 2014, Pour sauver Areva, EDF prendrait au moins 51 % du capital d'Areva NP, l'activité réacteurs d'Areva qui conserverait 15 %, et des participations minoritaires seraient prises par des investisseurs asiatiques. Le second volet du sauvetage d'Areva, sa recapitalisation par l'État, s'annonce, lui, plus coûteux que prévu : 3,5 à 4,5 milliards sont évoqués, contre les 2,5 à 3 milliards un temps envisagés.
- EDF a annoncé le 21 janvier 2016 un plan prévoyant la suppression de 4.000 emplois, sans licenciements, sur la période 2016-2018, soit 6 % des effectifs d'EDF SA, qui emploie 68.000 personnes en France (160.000 dans le monde).
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