Près d'1,5 millions de tonnes de cylindres contenant gaz sarin, arsenic... jonchent les fonds marins. Photo Arte
Que peut-il y avoir de pire au fond des mers que les déchets nucléaires qu'on y a balancés ? Ou des carcasses de sous marins nucléaires qui gisent au large des côtes russes, à Mourmansk ? Langue au chat ? C'est Arte qui a trouvé. Véritables bombes à retardement qui dorment au fond des mers et des océans de toute la planète, plus d’un million de tonnes d’armes chimiques héritées des deux guerres mondiales nous menacent encore aujourd’hui.
"Armes chimiques sous la mer", le documentaire de Bob Coen, Eric Nadler et Nicolas Koutsikas, mène l'enquête sur ce sujet explosif, classé secret défense jusqu'en 2017, et nous entraîne par la même occasion dans les coulisses de l'histoire des armes chimiques, ce soir, sur la chaîne franco-allemande.
La mer est aussi la poubelle des armées
Le chanteur Renaud a raison : "la mer est dégueulasse". Mais pas "parce que les poissons baisent dedans". La mer est dégueulasse, parce qu'elle est la poubelle de l'humanité, comme en attestent les quantités phénoménales de déchets produits par nos activités que les vagues de l'océan rapportent régulièrement sur nos plages. Ce qu'on sait moins, c'est qu'elle est aussi la poubelle de l'Histoire et notamment celles des deux grands conflits mondiaux. En plusieurs vagues, de 1917 à 1970, pour se débarrasser des stocks d'armes explosifs et hautement toxiques, les armées des grandes puissances mondiales les ont déversés dans les océans. Ni vu, ni connu.
1,5 millions de tonnes d'armes chimiques
Il y aurait ainsi près de 1,5 millions de tonnes d'armes chimiques provenant des guerres de 1914-1918 et de 1939-1945 au fond des mers et des océans. Il ne peut s'agir que d'une estimation, car les immersions ont toujours eu lieu clandestinement. Les lieux d'immersion sont connus sans l'être vraiment, car bien des bateaux se sont dépêchés de larguer dans les eaux leurs "colis" avant même d'y parvenir, tant leur contenu hautement dangereux inquiétait ceux qui les convoyaient. Ces armes, des poisons mortels encore actifs, s’échappent peu à peu dans la mer, menaçant les pêcheurs, les baigneurs, les poissons et tout l’écosystème. En toute discrétion, car en parler, "ça fait fuir le tourisme".
Un peu d'histoire
Commémoration du centenaire de la Grande guerre oblige, il faut reconnaître au premier grand conflit mondial d'avoir fait entrer dans la modernité et à grande échelle l'usage guerrier les armes chimiques, dites "non conventionnelles". En 1915, l'Armée allemande est la première à lancer une offensive chimique d'envergure, lors de la deuxième bataille d'Ypres en Belgique, en utilisant un gaz chloré. Le fameux gaz moutarde est ensuite utilisé pour la première fois en 1917, provoquant chez les soldats les ravages monstrueux que l'on sait. Dans l'entre-deux guerres, on ne mollit pas : près de 135.000 tonnes de gaz sarin sont notamment produits par les Américains. Finalement, et fort heureusement, si la guerre de 39-45 s'achève par l'explosion des deux premières bombes atomiques au Japon, la guerre chimique n'aura pas eu lieu. Que faire de cet arsenal terrifiant ? A l'issue de la deuxième guerre mondiale, à la conférence de Posdam, en août 1945, les Alliés se répartissent les stocks pour les déverser en mer. C'est la solution la plus simple et la plus sûre qu'ils ont trouvée... Jusqu'en 1970, des immersions d'armes chimiques auront lieu en mer du Japon, dans l'océan indien, en mer Baltique, en mer du Nord, dans l'Atlantique Nord au large des côtes américaines et canadienne et enfin, en Méditerranée, au large de la Côte d'Azur en France et des côtes italiennes, à Bari.
Localiser et neutraliser ces armes
Aujourd'hui, il y en a donc un peu partout. Notamment dans la mer Baltique, qui décroche la palme de la "mer la plus polluée au monde". Non loin des côtes et des plages, les fonds marins et océaniques sont jonchés de cylindres d'acier corrodés, qui laissent fuir leurs contenus : gaz sarin, moutarde, arsenic... Mais où exactement ? Et avec quelles conséquences pour les écosystèmes, la santé des poissons, celle des pêcheurs et des consommateurs ? Pour les pêcheurs qui remontent les filets, les accidents se multiplient. Aujourd'hui, en Italie, en Allemagne, en Pologne, aux Etat-Unis, au Canada et au Japon, des hommes se battent pour localiser et neutraliser ces armes. Tout s’y oppose : le manque d’archives, le secret militaire, le coût des opérations, l’« omerta » des pêcheurs et la peur de faire fuir les touristes.
Des solutions existent
Cette enquête captivante, nourrie d’interviews et d’images d’archives, passe en revue les zones à risque et montre que des solutions sont possibles pour nettoyer ces décharges. À condition, toutefois, que les États qui font jusqu'à présent la sourde oreille, acceptent d’y mettre le prix. Mais tout espoir n'est pas perdu : une poignée de scientifiques ont saisi l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques pour qu'elle s'empare du problème.
Cathy Lafon
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