Eolienne en Allemagne, photo © Dirk Laabs/Michael Wech
Depuis deux ans, l'Allemagne mène une politique de transition énergétique des plus ambitieuses. Le pays a opéré un virage à 180 degrés risqué, en renonçant totalement au nucléaire, ce qui n'est pas du goût de tous. La chaine Arte a enquêté sur les dessous d'un projet de grande envergure, dans un documentaire, "Transition énergétique : l'Allemagne devant et tous derrière", à voir à la télévision, le samedi 7 septembre (rediffusion, 12h15).
La révolution énergétique à l'allemande
Après la catastrophe de Fukushima, en mars 2011, l’Allemagne est le seul État européen à s’être lancé dans un changement radical de son dispositif énergétique, visant à mettre fin à la production électrique d’origine nucléaire d’ici 2022. Deux ans après l’annonce de ce plan d’action, le pays fait face à de sérieuses difficultés, mais pas celles auxquelles on aurait pu s'attendre: en Allemagne, c’est la répartition du coût de la transition énergétique qui pose problème et non la nature de cette transition.
L'essor phénoménal des énergies vertes en Allemagne
Contrairement aux fausses informations du lobby nucléaire français, allemand ou européen, qui tente de dissuader l'opinion publique de la pertinence du recours aux énergies renouvelables, car elles seraient dans l'incapacité de se substituer aux énergies fossiles et nucléaires, trop coûteuses, discontinues, etc..., les énergies renouvelables en Allemagne ne sont victimes que de leur succès et de leur essor fulgurant. Pour la faire courte, le documentaire d'Arte montre que si la transition énergétique fait souffrir l'Allemagne, c'est en réalité en raison de la surabondance de la production d'électricité du pays, due à l'essor phénoménal de l'apport des énergies vertes dans le réseau allemand qui semblerait pouvoir finalement, à terme, se passer aisément des autres sources d'énergie. Et si les renouvelables sont discontinues, comme le leur reprochent les partisans du tout-nucléaire, c'est plus un avantage qu'un inconvénient. Elles sont en effet aussi plus souples que leurs vieilles copines. En cas de surproduction globale, on peut stopper une éolienne ou des panneaux photovoltaïques : on n'arrête pas de la même façon une centrale au gaz ou au charbon... Or ces dernières continuent de fournir de l'électricité outre-Rhin.
Trop d'électricité verte tue l'électricité
Loin de devoir importer de l'électricité française durant l'hiver 2012, comme certains médias se sont empressés de le publier pour le démentir ensuite (mais le mal était fait), l'Allemagne a en réalité exporté de son électricité dans le réseau français, alimenté en majorité par le nucléaire, sous dimensionné lors des périodes de grands froids. Cool, diront les écolos. Pas tant que cela, paradoxalement. Le revers de la médaille est que ce succès écologiquement correct a pour effet pervers d'affecter les grands producteurs d’électricité, dont les pertes de chiffre d’affaires se comptent en milliards d’euros : la réussite du secteur industriel des énergies vertes, créateur d'emplois et de richesses pour l'Allemagne, provoque le malheur des industries conventionnelles. Par ailleurs, on l'ignore parfois, mais la surabondance d'électricité peut nuire gravement : pour éviter les pannes, l'Allemagne est contrainte régulièrement de délester son électricité vers les réseaux des pays voisins, comme la république Tchèque, au risque de détériorer la qualité de leur propre service d'approvisionnement d'électricité, voire de provoquer un black out européen.
Maîtriser l'essor des énergies vertes
La question pertinente soulevée par Arte n'est donc pas de savoir si les renouvelables sont ou non capables de se substituer aux énergies fossiles émettrice de CO2 ultra-polluantes et conventionnelles, responsables de l'effet de serre, de l'appauvrissement des ressources de la planète et du réchauffement climatique, car elles le sont. Peut-être même trop... Ni de leur imputer la hausse des tarifs de l'électricité : en Allemagne cette tendance est liée principalement à la nécessité d’investir dans le système énergétique entre 2005 et 2030 et cela quel que soit la composition du bouquet électrique, nucléaire inclus. Par ailleurs, le prix de gros de l'électricité chez nos voisins outre-Rhin a baissé entre 2009 et 2010, en partie grâce à l’augmentation de la commercialisation de l’électricité issue des énergies renouvelables, mais les consommateurs n'en ont pas profité : les opérateurs n'ont pas été contraints de répercuter la baisse sur le prix de l’électricité. La vraie question est plutôt de savoir comment parvenir à maîtriser les renouvelables en organisant un développement durable, en cohérence avec l'environnement économique interne au pays, dans le cadre plus large de l'Europe.
L'Allemagne précurseur
L'Allemagne a le mérite d'être le précurseur de la transition énergétique. Sans sa politique volontariste et courageuse, les autres pays européens n'auraient tout simplement pas d'exemple, ni de retour d'expérience à étudier. Mais l'Allemagne a oublié que le développement durable exige la prise en compte de tous les paramètres environnants. Sur l'énergie comme sur le reste. En faisant cavalier seul sur un sujet qui demande, plus que jamais, une grande cohésion européenne, l’Allemagne met ses voisins en porte-à-faux : la part du solaire et de l'éolien dans la production électrique allemande, ainsi que les aides financières attribuées pour le développement d’énergies durables, perturbent l’offre et la demande sur le marché européen. La décision unilatérale d’Angela Merkel déstabilise les États de l’Union, qui auraient souhaité plus de concertation en vue d’une transition énergétique qui profite à tous.
La croisée des chemins
Autre inconvénient du chemin choisi par l'Allemagne, deux ans après Fukushima, les entreprises allemandes émettent plus de dioxyde de carbone qu’auparavant. Les centrales à charbon se portent mieux que les centrales à gaz, pourtant moins polluantes. En cause, le système des certificats-CO2, qui devait permettre aux États européens de contrôler leurs émissions de gaz à effet de serre, mais qui s'avère à peine viable et n’incite plus à investir dans les énergies renouvelables. Angela Merkel se trouve donc à la croisée des chemins : interviendra-t-elle lors de la prochaine réunion des ministres de l'énergie européens, les 19 et 30 septembre prochains, pour sauver l’instrument européen de lutte contre le réchauffement climatique ou le laissera-t-elle décliner, quitte à mettre en péril la transition énergétique des autres pays de l’Union ?
Modèle ou échec ?
Pour l'Allemagne et pour la chancelière sortante, ce choix, qui intervient à la veille des élections législatives fédérales du 22 septembre dont dépend le troisième mandat d'Angela Merkel, ne sera pas sans conséquences. Plus important, pour les pays européens en général et la France en particulier, la position allemande peut faire de sa transition énergétique un véritable modèle à reproduire, ou un échec, à ne surtout pas importer chez soi... Comme l'a confié Jean-Marc Ayrault à l'un de ses homologues allemands, qui cite le ministre français dans le reportage de Arte : "Si vous réussissez à régler vos problèmes actuels, nous n'aurons plus à nous demander s'il faut aller ou pas vers la transition énergétique". Pour notre avenir énergétique et celui de la planète, l'Allemagne est donc condamnée à réussir à corriger les dysfonctionnements de sa transition énergétique. On a toutes les raisons de penser qu'elle est capable d'y parvenir.
Le documentaire d'Arte est un vrai dossier de "fact checking" (vérification des faits) qui démonte les mythes et la désinformation qui entourent la transition énergétique allemande. Utile pour les Français, eux-même à l'heure de leur propre choix en la matière.
Cathy Lafon
►PLUS D'INFO
- "TRANSITION ÉNERGÉTIQUE : L'Allemagne devant et tous derrière", Arte, samedi 7 septembre à 12h15 (73 min). Déjà diffusé mardi 3 septembre à 20h50. Prochaine rediffusion jeudi 19 septembre, à 8h55.
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