Betterave sucrière : le retour des néonicotinoïdes
La production de betterave sucrière est menacée par le puceron vert, qui véhicule le virus de la jaunisse et attaque les rendements. Photo AFP
Alors que l'usage des néonicotinoïdes, ces insecticides réputés mortels pour les abeilles, est interdit en France depuis 2018, la loi du 14 décembre 2020 ré-autorise jusqu'en 2023 l'usage des insecticides néonicotinoïdes pour les seules cultures de la betterave sucrière, menacées par le virus de la jaunisse. Ce virus, transmis par des pucerons, justifie le gouvernement, entraîne des baisses de rendements, qui mettent en danger la filière.
Le 10 décembre, le Conseil constitutionnel avait donné son feu vert à la loi réautorisant pendant trois ans l’utilisation de semences de betteraves à sucre enrobées d’insecticides néonicotinoïdes, malgré leur incidence négative sur la biodiversité. Le Conseil constitutionnel « juge conforme à la Constitution, compte tenu de l’ensemble des garanties dont elle est assortie et en particulier de son application limitée exclusivement jusqu’au 1er juillet 2023, la possibilité de déroger à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes ».
« C’est vraiment une bonne nouvelle », a réagi Franck Sander, président du syndicat des betteraviers (CGB), réuni en assemblée générale, parcourue par un grand ouf de soulagement, au moment de l’annonce de la nouvelle concernant cette « étape qu’on ne maîtrisait pas ». « La décision qu’on a pu prendre sur la betterave est une question de souveraineté », a déclaré le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, en clôture de cette assemblée.
Une dérogation jusqu'en 2023
Le Conseil constitutionnel avait été saisi de deux recours émanant de plus de soixante députés et de plus de soixante sénateurs, estimant que le texte de la loi contrevenait à la Charte de l’environnement, assimilée depuis 2005 dans le bloc de constitutionnalité du droit français. Les dispositions contestées « ne permettent de déroger à l’interdiction d’utilisation des produits en cause qu’à titre transitoire, le temps que puissent être mises au point des solutions alternatives. Cette possibilité est ouverte exclusivement jusqu’au 1er juillet 2023 », rappelle le Conseil, qui s’appuie sur l’article 53 du règlement européen du 21 octobre 2009, applicable « aux situations d’urgence en matière de protection phytosanitaire ».
L’article 53, utilisé également dans plus d’une dizaine d’autres pays européens pour déroger à l’interdiction générale des néonicotinoïdes en agriculture dans l’Union européenne, ne permet qu’un « usage limité et contrôlé » des produits en cause, dans le cadre d’une autorisation délivrée pour une période n’excédant pas cent-vingt jours », à condition que cet usage s’impose « en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ».
La déception des écologistes
Au grand dam des défenseurs de l’environnement, les betteraviers, qui ont subi des pertes évaluées à 280 millions d’euros, ont donc obtenu du gouvernement la réintroduction des néonicotinoïdes en attendant une solution technique de rechange pour cultiver les betteraves tout en évitant la jaunisse.
« Génération Écologie prend acte de la décision » du Conseil constitutionnel, avait réagi sa présidente Delphine Batho, faisant part dans un communiqué de sa « déception, au regard de la grave régression que constitue la réhabilitation de ces poisons et de leurs conséquences monstrueuses sur les pollinisateurs, les oiseaux et bien d’autres espèces ».
La récolte de betteraves à sucre a chuté de 30% en France en 2020 par rapport à celle de la moyenne des cinq dernières années, tombant au plus bas depuis plus de 30 ans, après l’invasion d’un puceron vert vecteur de la jaunisse, que des traitements insecticides foliaires n’ont pas permis de résorber en l’absence de semences enrobées.
Parallèlement à ce qui est qualifié par certains de retour en arrière, le gouvernement a annoncé un vaste plan de recherche agronomique pour tenter de sortir la culture de la betterave de l’ornière. La France est le premier producteur en Europe de sucre et de bio-éthanol. La filière betterave-sucre française concerne 25.000 agriculteurs et génère 46.000 emplois directs.
Cathy Lafon avec l'AFP
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