Le livre vert du dimanche. "L'humanité en péril", le cri d'alarme sur l'état de la planète de Fred Vargas
Dans son nouveau livre, l'auteure de polar Fred Vargas passe aux crimes contre la planète. Photo archives AFP
"Il y a dix ans, raconte Fred Vargas, j'avais publié un très court texte sur l'écologie. Et quand on m'a prévenue qu'il serait lu par Charlotte Gainsbourg à l'inauguration de la COP24, en 2018, c'est alors que j'ai conçu un projet de la même eau, un peu plus long sur l'avenir de la Terre, du monde vivant et de l'Humanité. Rien que ça". Voilà pour la genèse de ce petit livre épatant à lire de toute urgence, "L'humanité en péril", publié en mai dernier chez Flammarion par la reine du polar français, médiéviste, archéozoologue et longtemps chercheure au CNRS.
Un cri d'alarme mais aussi d'espoir
Dans ce manuel d'information et de survie en forme de réquisitoire documenté et éloquent sur l'urgence écologique, Fred Vargas dresse le "dur" constat de la situation apocalyptique dans laquelle l'humanité s'est mise toute seule, comme une grande. Ce, en à peine un siècle. Mue, dénonce-t-elle, par les deux termes-clés qui ont scellé son destin : l'"Argent" et la "Croissance". Avec à la manoeuvre, les politiciens, qui savent et depuis longtemps, mais qui n'ont rien fait, laissant les "Gens (nous)" dans l'ignorance. Pire, victimes de la politique de "désinformation" dont leurs gouvernants se sont rendu coupables.
Une décision "criminelle"
Fred Vargas s'est donnée comme première tâche de mettre fin à cette "désinformation". Pour ce faire, elle est retournée à ses premières amours de scientifique, passant au crible nombre d'articles, d'enquêtes et autres préconisations du Giec (Groupe d'experts internationaux sur l'évolution du climat), qui s'appuient sur des milliers d'études scientifiques...
Un exemple parmi d'autres : "Le Giec, écrit-elle, a démontré qu'avec une augmentation des températures de 1,5°C par rapport au niveau préindustriel, on impacte le quart du globe et on met en péril la moitié de l'humanité." Or, à l'issue de la COP24, en 2018, les gouvernants se sont mis d'accord sur l'objectif des +2°C, celui de +1,5°C "n'étant pas tenable". Une décision "criminelle", juge Fred Vargas. Un demi-degré, dans l'esprit des Gens (nous), ce n'est rien. Or, il faut préciser, explique-t-elle, que "+1,5°C désigne une température moyenne des températures qui prend en compte, celle très froides, des océans et des pôles. Sur les continents, cela correspond à +3,7°C. Une élévation de +2°C au global, représente +5°C sur les continents d'ici à la fin du siècle." Un tel réchauffement signe, au pire, la mort de millions de personnes, de faim, de soif ou de chaleur dans certaines parties du globe, et au mieux, le déplacement forcé de millions de réfugiés climatiques.
Liste de méfaits et de maux sans fin
Quant à la liste de nos "méfaits", longue comme un jour sans pain bio, elle a entraîné pour la planète une cascade de maux multiples : "la pollution de l'air et des eaux (de source, de nappes et de mer), le réchauffement, la désertification, le manque d'eau, la fonte des glaces de l'Arctique, de l'Antarctique, des glaciers et du permafrost, l'élévation du niveau des mers, les monstrueux impacts de l'élevage et de la culture des sols destinés à nourrir les bêtes, la déforestation, la perte des puits naturels de carbone, les pluies acides, la salinisation des sols,leur appauvrissement, la pollution des sols, les pesticides, herbicides et antifongiques, la toxicité des poissons chargés de métaux lourds, l'envahissement des mers par les résidus de plastique, occasionnant la mort des poissons et des oiseaux, mais infiltrant aussi nos organismes, l'épuisement du phosphore vital et de quantité d'autres matières..." Une addition sidérante.
Et on en découvre encore tous les jours. Les résidus des antibiotiques que nous consommons à outrance polluent aujourd'hui (plus ou moins) toutes les rivières du monde entier. Les microparticules de plastiques de nos vêtements en tissu synthétique, quand nous les passons au lave-linge, se retrouvent aussi dans les eaux de l'océan, asphyxié par les déchets plastique, puis dans les poissons que nous mettons dans nos assiettes. Et donc, en fin de course, dans nos organismes.
"Le Crime le plus gigantesque qu'on ait pu concevoir"
Pas la peine de mettre la tête dans le sable, la planète est vraiment dans un sale état. Mais la situation n'est pas (encore) désespérée. Alors, en même temps, en bonne auteure de polar, Fred Vargas cherche frénétiquement des solutions pour sauver le vivant et "résoudre" la crise écologique, "en décrivant et en nommant toutes les "actions" possibles, en route ou bien à mettre en route, ou encore en éclosion proche". Rude entreprise, écrit-elle : dans un polar, rien de plus simple, "je triche, je connais déjà le crime et je n'ai donc aucune peine à trouver la solution. Mais là, en ce qui concerne le vivant sur Terre, je me suis trouvée stupéfaite, face au Crime le plus gigantesque qu'on ait pu concevoir."...
Plein de solutions et de choses à faire... différemment
Heureusement, aussi noir soit-il, le tableau brossé par l'écrivaine ne veut pas ignorer qu'il existe aussi plein de solutions aux dangers qui menacent la planète et notre propre survie. Et Fred Vargas fait aussi son miel des innombrables initiatives et découvertes scientifiques et technologiques qui tentent d'éliminer ou au moins réduire la pollution mortifère pour le vivant, liée justement à nos modes de vie. En captant par exemple le carbone, ou encore en développant une mobilité propre. Certaines sont à suivre. Pour d'autres, méfiance : quelles seront finalement leurs conséquences écologiques sur la planète ? D'autres encore sont à oublier, et vite, car elles seraient pire que le mal.
A notre niveau (celui des Gens), on a aussi plein de choses à faire, ou plutôt à ne plus faire, ou mieux encore, à faire différemment, sans pour autant perdre en qualité et confort de vie. Il suffit souvent nous dit Fred Vargas, d'éviter tout simplement de tomber dans l'excès. On peut (doit) économiser l'eau, choisir une machine à laver qui filtre les microparticules de plastique de notre linge, se contenter d'une télévision par foyer, éviter d'acheter le dernier smartphone dernier cri quand celui qu'on possède fonctionne bien, prendre systématiquement le train pour les trajets inférieurs à 800 km, etc.
L'impératif d'agir
"Mais bon sang, comment vais-je me sortir de cette tâche insensée ?" se demandait Fred Vargas en démarrant son bouquin. La réponse est : bien, très bien même. Servie par la finesse, l'intelligence, l'humour et l'humilité intellectuelle qui sont sa marque de fabrique, l'écrivaine nous confronte avec une énergie stupéfiante à l'impératif d'agir. Au XXe siècle, ça, on peut dire qu'"on s'est bien marré", résume-t-elle, avec verve. C'est vrai qu'on s'est bien gobergé en dansant tout l'été comme les cigales. Et maintenant, selon le leitmotiv bien connu de "Game of Thrones" : "Winter is coming". Excellente métaphore inversée. Oui, avec ce XXIe siècle qui est celui de "l'épuisement" des ressources de la Terre et du réchauffement climatique, "l'hiver arrive". Mais pour Fred Vargas, c'est une évidence : pas question de rester les bras croisés en attendant que les décideurs se décident enfin à décider.
Troisième Révolution
Après la Révolution néolithique puis industrielle, il nous donc incombe à nous, les Gens, de mener à bien ce qu'elle nomme la "Troisième Révolution" de l'Histoire de l'Humanité. Celle de l'écologie. Alors, exhorte-t-elle, on y va !. On relève ses manches, on fait évoluer ses pratiques au quotidien, aussi menues soit-elles, on travaille, on agit, on reste vigilants et on vote : bref, "on vire de bord, toute !". Solidairement, pour sauver notre peau. Car finalement, la Terre, de tout ça, elle, elle s'en fout. Elle continuera de tourner, avec ou sans nous. Mieux vaut que ce soit avec nous, non ?
►A LIRE
- "L'humanité en péril. Virons de bord, toute !", de Fred Vargas. Editions Flammarion, 248 p., 15 euros.
►LIRE AUSSI
- Les articles sur le réchauffement climatique : cliquer ICI