Réchauffement : et ces ours polaires, réfugiés climatiques sur une île dans l'Arctique russe...
Des ours polaires sur l’île Wrangel, le 19 septembre 2017. Photo AFP
Surprise ! Des touristes en croisière dans l'Arctique russe ont d’abord cru voir depuis leur bateau de petits blocs blancs de banquise sur les rivages de l'île Wrangel, dans l’Extrême-Orient russe. Raté. Il s’agissait en réalité de 200 ours polaires en plein festin, rassemblés au bord de l'eau pour dépecer la carcasse d’une baleine échouée. Une rencontre « unique » pour Alexandre Grouzdev, le directeur de la réserve naturelle de l'île, rapporte l'AFP. Le groupe d'ours comprenait de nombreuses familles, dont deux mères suivies chacune par quatre oursons. Il va pourtant falloir s'y habituer : dans un futur pas si éloigné, le réchauffement climatique pourrait rendre fréquente une situation jusqu'à présent exceptionnelle. De quoi compliquer sérieusement la vie des animaux mais aussi celle des humains, leurs voisins.
Les ours polaires se rapprochent des villages
S'il est forcément fascinant pour les touristes, un tel spectacle inquiète les scientifiques, tant il illustre bien le triste impact pour l'équilibre de la nature du réchauffement climatique. Pour les animaux, la hausse des températures sur la planète modifie leur habitat naturel, accroît leur concurrence pour la nourriture et les rapproche des zones habitées. Au pôle nord, la fonte des glaces qui se produit plus tôt dans l’année, pousse les populations d’ours polaires de l’Arctique à passer plus de temps sur la terre ferme et à se rapprocher dangereusement des villages.
Située dans la mer des Tchouktches dans le nord-est de la Sibérie, l’île Wrangel est traditionnellement l’endroit où les ours polaires se reposent entre août et novembre, après la fonte des glaces et avant repartir à la chasse aux phoques. Elle est également considérée comme la principale zone de tout l’Arctique où ils donnent naissance à leurs petits. Les scientifiques constatent que les ours polaires sont de plus en plus nombreux à se rendre sur l’île Wrangel où ils passent aujourd’hui en moyenne un mois de plus qu’il y a 20 ans en raison de la fonte des glaces. Cet automne, les observateurs en ont recensé 589, un nombre « anormalement élevé » et plus du double des estimations précédentes, s’inquiète Eric Regehr, spécialiste de l’Université de Washington.
A partir de quand les ours vont-il "commencer à ressentir les effets négatifs" ?
Selon lui, la population d’ours polaires de la mer des Tchouktches, partagée entre la Russie et les Etats-Unis, reste « en bonne santé ». Mais cela pourrait changer si le temps passé sur la terme ferme continue de s’allonger. Malgré l’existence de quelques sources de nourriture comme les bœufs musqués, les rongeurs ou même l’herbe, rien ne remplacera les apports en énergie de la chasse au phoque, essentielle pour la survie des ours polaires. « La question est de savoir à partir de quand la population va commencer à ressentir les effets négatifs » du temps de plus en plus long passé sur la terre ferme, relève le scientifique. « Nous n’avons pas la réponse, mais ce seuil sera atteint » à un moment donné. Si ces animaux, ingénieux, sont capables de s’adapter, leur nombre actuel dans l'Arctique ne peut être maintenu sur terre. Ils seraient alors trop concentrés sur un espace restreint, aux ressources limitées en nourriture.
Le signe inquiétant de ce que nous réserve le futur
Selon le scientifique, s'il fait une belle photo souvenir pour les touristes, l'attroupement de 200 ours polaires agglutinés autour d’une carcasse de baleine est avant tout le signe inquiétant de ce que nous réserve le futur : plus d’ours passant moins de temps dans la mer. Avec, à la clé, moins de proies marines pour les animaux mais aussi la multiplication de conflits de voisinage inévitables avec les humains de la région. Depuis la mi-octobre, les ours polaires se rapprochent dangereusement du village de Ryrkaïpi, sur la terre ferme à 200 kilomètres de l’île Wrangel, à proximité d’un site où les morses aiment s’échouer et où des centaines d'entre eux sont morts en s’écrasant les uns sur les autres. Certaines carcasses de morses ont flotté jusqu’au village et attiré des ours, dont l’un a cassé la fenêtre d’une maison. Le village de quelques 600 âmes a dû se mettre en alerte, interdisant aux enfants d’aller à l’école à pied et annulant certains événements publics. Les habitants et les scientifiques ont ensuite utilisé des bulldozers pour éloigner les carcasses de morses du village.
« Nous ne pouvons pas stopper le changement climatique, mais nous pouvons (…) rendre la vie plus facile pour les ours polaires », en instaurant par exemple des patrouilles de surveillance et d’autres mesures de protection, souligne Viktor Nikiforov, expert et coordinateur du centre russe des mammifères marins. « Avec les transformations que subit la nature, nous devons nous en soucier. »
Cathy Lafon avec l'AFP
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