Perturbateurs endocriniens: le "cadeau énorme" de Bruxelles à l'industrie chimique
Selon une étude française récente, les perturbateurs endocriniens, ces substances chimiques altèrent le fonctionnement hormonal, sont présents chez toutes les femmes enceintes. Photo archives AFP
Ce mercredi, la Commission Européenne devait définir une liste de critères permettant de définir un perturbateur endocrinien. Et, partant de là, de classer ces substances pour interdire les plus dangereuses. Une mesure attendue depuis plus de trois ans. Au lieu de quoi, elle a soumis au vote un texte dont un paragraphe tortueux, ajouté au dernier moment, visait à affaiblir les dispositions concernant les perturbateurs endocriniens dans les législations européennes, sur les pesticides et les biocides. Désespérant.
Alors que les études sanitaires et scientifiques dénonçant les conséquences néfastes, pour la santé humaine et l'environnement, des produits contenant des perturbateurs endocriniens font consensus et se multiplient - une nouvelle étude française a récemment montré la présence de perturbateurs endocriniens chez la totalité des femmes enceintes - l'Europe pourrait céder (une fois de plus) aux lobbys industriels. De leur côté, les associations, dont Générations futures, crient au scandale, dénonçant une politique inapte à protéger la santé des citoyens. La bonne nouvelle, si l'on peut dire, c'est que la Commission n'a pas obtenu le 21 décembre de majorité qualifiée pour l'approbation de son texte et doit donc revoir sa copie... Le point.
Les perturbateur endocriniens, késaco ?
Ces substances chimiques sont omniprésentes dans la vie quotidienne. On les retrouve dans mille et un produits de consommation courante (ordinateurs, boîtes de conserve, rideaux de douche, téléphone portables, cosmétiques, vêtements…) et dans de nombreux pesticides. Capable d'interagir sur le système hormonal, ils peuvent provoquer des cancers, des dysfonctionnements du système nerveux voire engendrer des problèmes de reproduction. Omniprésents dans l’environnement, ils sont particulièrement redoutables pour les fœtus, même à des doses infimes.
Une liste de critères lacunaire
Premier reproche formulé par les associations et certains pays européens, au premier rang desquels la France, la liste de critères retenue par la Commission européenne afin de définir les perturbateurs endocriniens, présente de profondes lacunes en matière de protection des populations. Faisant fi du principe de précaution et de l'effet cocktail, cette liste qui avait été présentée il y a quelques mois, prévoyait de n’inclure que les perturbateurs endocriniens aux effets toxiques avérés (et non soupçonnés) sur l’être humain. Le niveau de preuve exigé est tellement élevé qu’il serait presque impossible de prouver cette toxicité. Les associations étaient montées au créneau et la France, par la voix de Marisol Touraine, ministre de la Santé, et de Ségolène Royal, ministre de l'Environnement, avaient déjà demandé à la Commission de revoir sa copie.
La dérogation qui annule tout (ou presque)
Ce qu'elle a fait... mais pas dans le bon sens. En toute discrétion, la Commission a en effet introduit au dernier moment (et "pour la première fois", souligne Générations futures) une nouvelle possibilité de dérogation à l’interdiction des perturbateurs endocriniens. En effet, jusqu’à présent les textes votés par les députés européens en 2009, inquiets des conséquences sanitaires colossales des perturbateurs endocriniens, prévoyaient qu’une substance pesticide ne pouvait être approuvée que si "elle n’est pas considérée comme ayant des effets perturbateurs endocriniens pouvant être néfastes pour les organismes non ciblés".
Empapaoutage digne de Kafka
Or la nouvelle disposition de la Commission prévoit tout simplement de dispenser de cette interdiction les pesticides ayant été justement conçus pour agir sur la croissance des organismes nuisibles via leur système endocrinien. Autrement dit, l'Europe veut mettre à l’abri d’une interdiction éventuelle les substances dont on sait qu’elles son des perturbateurs endocriniens susceptibles d’avoir des effets sur la faune, au motif qu’elles ont justement été créées pour être des perturbateurs endocriniens ! Une belle entourloupe kafkaïenne, digne de figurer dans l'une des meilleures pièces du théâtre de l'absurde...
"Cadeau énorme fait à l'industrie chimique"
"Cette nouvelle possibilité de dérogation à l’interdiction de pesticides ou biocides perturbateurs endocriniens est à la fois scandaleuse et absurde. Car à quoi peut bien rimer une législation censée interdire les perturbateurs endocriniens pesticides ou biocides … qui commence par mettre à l’abri d’une éventuelle interdiction les produits ayant justement été conçus pour être des perturbateurs endocriniens ?" François Veillerette, directeur de Générations futures
Rien d'étonnant à ce que Générations futures crie au scandale en dénonçant dans un communiqué, ce "nouveau cadeau énorme fait à l’industrie chimique en tentant de protéger des familles entières de produits chimiques qui pourraient sinon être interdits en tant que perturbateurs endocriniens." Pour ceux qui suivent le bien trop long feuilleton des perturbateurs endocriniens, cette dérogation majeure répond en effet à une demande ancienne de l’industrie des phytosanitaires visant à exonérer de la réglementation les trois plus gros fabricants de pesticides au monde : les géants allemands BASF (numéro un mondial de la chimie) et Bayer (en cours de fusion avec Monsanto), ainsi que le groupe suisse Syngenta. Selon les calculs de l'ONG, cette disposition mettrait, pour la France, au moins 8 700 tonnes de produits pesticides à l’abri d’une éventuelle interdiction pour leurs propriétés perturbateurs endocriniens ! Autant dire que la dérogation annule quasiment tout les effets de la réglementation initiale.
La France s'oppose
La veille de l'examen du texte, Ségolène Royal annonçait aussitôt dans un communiqué qu’elle s’opposait au texte, en demandant "ce jour par courrier au président de la Commission européenne d’engager dès maintenant une réflexion globale pour la mise en place d’une classification des perturbateurs endocriniens ambitieux (qu’ils soient avérés, présumés ou suspectés)". D'autres Etats-membres, dont la Suède et la Belgique annonçaient elles aussi qu’elles ne soutiendraient pas le texte qui finalement, a été retoqué. Ce qui veut pas dire que la partie soit gagnée pour une meilleur protection de la santé des citoyens.
Une bonne nouvelle, oui, mais...
"C’est une bonne nouvelle qui témoigne du fait que la pression des citoyens, ONG et scientifiques ainsi que certains Etats-membres (France, Suède en premier lieu) aura porté, la Commission ayant dû reculer. Mais, rien n’est encore gagné !", réagit François Veillerette. Il faut en effet attendre de voir quelle sera la nouvelle proposition de la Commission. En attendant, les associations se disent prêtes à "maintenir une pression forte sur cette dernière ainsi que sur certains pays, dont l’Allemagne, qui sont prêts à brader la santé des européens au profit d’intérêts économiques de certains industriels".
►LIRE AUSSI
- L'excellent article du Monde: Perturbateurs endocriniens : la fabrique d’un mensonge
- Les articles de Ma Planète sur les perturbateurs endocriniens: cliquer ICI