Arctique : "Le passage du Nord-Ouest, révélateur du changement climatique ?"
Le 21 septembre, l'équipage de Coriolis 14 franchit le détroit de Bering.
Vous vous rappelez de Coriolis 14 ? C'est l'expédition bordelaise conduite par Daniel Boulogne, partie à la voile de La Rochelle, le 21 juin dernier, faire la preuve du réchauffement climatique et le tour du monde par les deux pôles, en empruntant le passage du Nord-Ouest au pôle Nord.
Après trois mois de mer, le voilier de plaisance franchissait le détroit de Béring dans la nuit du vendredi 21 au samedi 22 septembre, à 17H04, heure locale, montrant qu'on peut aujourd'hui faire le tour du monde en simple voilier par les pôles. Le 29 septembre, Ma Planète s'en faisait l'écho, suscitant de nombreux commentaires d'internautes. Certains admirent l'exloit, mais d'autres contestent le réchauffement climatique et le fait que le passage du Nord-Ouest en soit bien le révélateur. Alors, qui dit vrai ?
Ma Planète a fait sa petite enquête...
Le passage du Nord-Ouest est le passage maritime nord qui relie l'océan Atlantique à l'océan Pacifique en passant entre les îles arctiques du grand Nord Canadien. Il s'avère que cette traversée, mythique pour de nombreux marins et uniquement franchissable durant le court été arctique, atttire de plus en plus de plaisanciers, précisément grâce au réchauffement climatique qui la rend plus facile depuis deux ou trois ans. Mais pas exempte de risques.Selon Frédéric Lasserre, professeur au département Géographie de l'université de Laval, au Québec : "L'ouverture est très variable d'une année sur l'autre. Depuis 2009-2010, ce sont les chenaux du nord qui s'ouvrent plus longtemps, comme le détroit de McClure". Jusque dans les années 1980, il était quasiment impossible de s'aventurer dans cette région en bateau à voile, à cause des glaces dérivantes, ou alors il fallait prendre le risque de devoir hiverner pendant plusieurs années. Mais aujourd'hui, il y a beaucoup moins de glace et plusieurs chenaux sont empruntables pendant quelques jours ou quelques semaines, en été. En 2009, une vingtaine de voiliers, dont celui du célèbre navigateur Philippe Poupon, acccompagné de sa famille, réussissent ainsi la traversée nordique. A bord de "Fleur australe," Poupon veut mettre son expérience au service de la protection de la planète et décide d'emprunter cette route, qu'il décrit alors comme pionnière pour un bateau de plaisance classique. En 2012, ils sont aussi une vingtaine de bateaux à avoir emprunté ce passage, dont Coriolis, qui est le 88ème à avoir effectué cette traversée depuis 1906. Et c'est bien le réchauffement climatique qui rend possible ces expéditions à la voile qui sont toujours autant de petits exploits, tant la météo reste dangereuse et difficilement prévisible dans cette région du globe.
... et Coriolis14 apporte ses précisions
En ce début d'année, Coriolis est loin d'avoir fini son tour du monde "climatique" par les deux pôles, et le voilier navigue actuellement au large de l'Equateur et du Pérou (Amérique du Sud). C'est l'occasion pour Ma Planète d'envoyer ses voeux écolos du nouvel an à ces Bordelais du bout du monde, en publiant leur réponse, rédigée par Arnaud Pruvost, coordinateur scientifique de l'expédition.
Passage du Nord-Ouest, révélateur du changement climatique ?
Vidéo réalisée par Coriolis 14, postée de Nuuk, 1er novembre 2012
Pour faire simple, le passage du Nord-Ouest est la voie maritime qui permet de passer de l’Atlantique Nord au Pacifique Nord via le Groenland, les iles Canadiennes, l’Alaska et enfin le détroit de Béring. C’est aussi le passage emprunté par l’expédition Coriolis pour effectuer son tour du monde par les deux pôles.
Rares sont les navires à avoir réussi cette traversée
Ce passage du Nord-Ouest (PNO) (image ci-contre) est pourtant une des voies navigables les plus difficiles puisqu’il est partiellement recouvert de glace l’hiver et aujourd’hui libre de glace quelques semaines à la fin de l’été. D’ailleurs rares sont les navires à avoir réussi cette traversée.
Si Vitus BERING (ci-contre) a découvert et franchi au 18ème siècle le détroit qui depuis porte son nom, le premier navigateur à avoir réussi le passage du Nord- Ouest que l’Histoire a retenu n’est autre que Roald AMUNDSEN en 1906, il y a 106 ans seulement. Il lui aura fallu tout de même 3 années (en comptant les hivernages) pour réussir cet exploit.
Le premier français et le 6ème de l’Histoire à l’avoir franchi est JANUZ KIRIEK, entre 1982 et 1988. Ce chercheur d’origine polonaise étudie le climat à Nome où notre expédition a pu le rencontrer. Il n’y a eu que quatre navires à avoir réussi cet exploit en 82 ans, preuve s’il en est de la difficulté.
Enfin en 1999, le dernier bateau du 20ème siècle à avoir franchi ce passage constitue alors le treizième passage. 7 bateaux en 11 ans : le passage est plus accessible.
Quatre facteurs ont permis l’accessibilité du PNO aux navires de plaisance (les passages commerciaux ne sont pas pris en compte, leurs routes étant ouvertes par des brises glaces nucléaires): le GPS qui permet un géolocalisation précise ; la distribution des cartes des glaces, jadis réservées aux militaires ; l'OPEN PORT : le téléphone et l’accès à Internet à bord ; les balises de détresse.
C’est ainsi qu’entre 2000 et 2012 il y a eu 75 autres navires à franchir le PNO. Le Coriolis est donc le 88ème à emprunter ce passage depuis Amundsen.
Comme l’atteste cet historique, cette route est de plus en plus praticable pour les petites embarcations. Cela démontre en partie une fonte des glaces (corroborée par les mesures de la banquise) toujours plus importante puisque l’expédition Coriolis est le premier bateau en coque plastique, certes solide, mais de fabrication commerciale, sans renfort particulier, à avoir emprunté le passage du Prince de Galles et le premier à débarquer au village de SARTH HARBOUR. L’ouverture de nouvelles voies maritimes est donc une preuve et une conséquence de plus du changement climatique.
Ces références proviennent du centre d’observation Amundsen de NOME (Alaska).
Arnaud PRUVOST, coordinateur scientifique de l’Expédition Coriolis, pour Daniel BOULOGNE, responsable de l’expédition.