Energie : Nicolas Hulot acte le report de la baisse de la part du nucléaire à 50% en 2025
Nicolas Hulot et Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, en conférence de presse à la sortie du Conseil des ministres, le 7 novembre 2017. Photo AFP
La loi de 2015 sur la transition énergétique prévoit de ramener de 75 % à 50 % d’ici à 2025 la part de l’atome dans la production d’électricité française. Un objectif « difficile » et compliqué pour Nicolas Hulot, qui a annoncé ce mardi, en pleine COP 23, qu'il ne serait pas atteint. « Sauf à relancer la production d’électricité à base d’énergies fossiles » et renforcer les émissions de gaz à effet de serre, a-t-il prévenu à l’issue d'un conseil des ministres anticipé.
Nicolas Hulot qui avait pourtant évoqué cet été la possible fermeture de « jusqu’à dix-sept » réacteurs nucléaires dans le pays pour permettre la transition énergétique à l’horizon 2025, évoque une preuve de réalisme en précisant sur Public Sénat qu'il allait travailler sur « l'échéance de 2030 ou 2035 ». « On ne revient pas sur les objectifs, on les rend tous compatibles », a-t-il voulu rassurer, en réfutant l'accusation de reculade portée par ses anciens camarades écologistes surpris et déçus. Sans vraiment les convaincre : la volée de bois vert ne s'est pas faite attendre.
Scénario alternatif
«Dans un an», soit le temps de boucler la révision de la PPE (programmation pluriannuelle de l'énergie) d’ici la fin 2018, pour les périodes 2018-2023 et 2024-2028, le gouvernement sera en mesure d’annoncer «combien de réacteurs seront fermés, à quelles échéances et sur quels critères», a affirmé le ministre, en renouvelant l'assurance que la centrale nucléaire de Fessenheim « sera fermée dans le quinquennat ».
« On va maintenir cet objectif de 50% mais le rendre réalisable, le repositionner dans le temps », s'est-il expliqué, en s'appuyant sur le diagnostic fait par RTE dans son bilan prévisionnel. La filiale d'EDF qui gère le transport d'électricité, estime que «l’atteinte de l’objectif des 50 % de nucléaire dans la production d’électricité en 2025 conduirait systématiquement à une augmentation des émissions de CO2 du système électrique français», en raison d’une utilisation accrue des énergies fossiles et des centrales à gaz. Selon les calculs de l'entreprise publique, pour baisser la part du nucléaire dans la production d’électricité française à 50 % dans ce délai, il faudrait fermer 24 réacteurs nucléaires d’une capacité de 900 mégawatts, et mettre un bon coup d'accélérateur au développement des énergies renouvelables. RTE a ainsi établi quatre scénarios alternatifs. L'un, dans lequel la part du nucléaire serait réduite à 50% en 2030, avec 16 réacteurs fermés, un triplement des renouvelables, aucun ajout de moyen thermique et des émissions de CO2 divisées par deux, qui nécessiterait toutefois des outils de «flexibilité» (effacements, stockage par batteries, pilotage de la recharge de véhicules électriques), pourrait avoir les faveurs du gouvernement.
« Renoncement inacceptable »
Si Nicolas Hulot justifie la décision de repousser la baisse du nucléaire par le retard pris par les énergies renouvelables destinées à les compenser dans le mix énergétique tricolore, on est en droit de s'interroger sur l'impact qu'aura justement un tel report sur leur développement... Le serpent du tout nucléaire risque continuer à se mordre la queue longtemps encore, dans une France prisonnière (à tout jamais ?) de l'atome. C'est très précisément ce qui suscite la colère des écologistes qui s'estiment à juste titre quelque peu "grugés" par ce renoncement.
«Si l'on veut maintenir la date de 2025, ce sera au détriment des objectifs climatiques et de la fermeture des centrales à charbon», a justifié hier le ministre de la Transition écologique et solidaire, qui affirme vouloir prendre le temps de fixer une nouvelle date réaliste. Un argument qui ne tient pas la route aux yeux des écologistes, cruellement déçus. En bloc, les défenseurs de l'environnement évoquent un « renoncement » et réaffirment l'impérieuse nécessité d'engager la France dans la transition énergétique, en faisant enfin la place aux énergies renouvelables. "Ce n'est pas en reculant sur le nucléaire que la lutte contre les dérèglements climatiques s'accélérera", a dénoncé Greenpeace, appelant le ministre à être "le rempart" contre les lobbys du nucléaire ou du pétrole. Les énergies renouvelables "ne peuvent se développer que si la part du nucléaire est réduite dans le mix électrique français", a jugé l'ONG. Le Réseau Action Climat a aussi regretté une "reculade" de Nicolas Hulot et le Réseau Sortir du nucléaire a pointé un "renoncement inacceptable". "Un nouvel arbitrage perdu pour le renouvelable.
"Une mauvaise décision"
Pascal Canfin, le directeur de WWF, qui faisait part ce matin au micro de France Inter de son "incompréhension", reconnaît que "la date de 2025 qui relève d'une annonce de 2011 est inadaptée", mais juge que la décision de Hulot est une "mauvaise décision". Ce proche de Hulot pondère toutefois en soulignant que le ministre de la Transition écologique et solidaire a deux gros dossiers sur les bras, hautement conflictuels au sein du gouvernement où de puissants lobbys pèsent de tout leur poids pour reculer les échéances en espérant reporter aux calendes grecques les réformes promises par Emmanuel Macron: les pesticides et le glyphosate dans le domaine de l'agriculture, et le nucléaire, dans le domaine énergétique.
"Crédibiliser la sortie du nucléaire"
Pour l'ancien ministre délégué au Développement de François Hollande, les conflits au gouvernement sont rudes et "virils" et Nicolas Hulot doit batailler ferme tous les jours : "parfois il gagne, comme sur le glyphosate, et parfois il perd, comme sur le nucléaire". Concernant l'atome, "l'enjeu, explique-t-il, c’est de crédibiliser la sortie du nucléaire. Et à ce jour aucune centrale n’a été fermée". Pascal Canfin qui dit vouloir attendre "très rapidement un engagement sur une date au plus tard en 2030", estime néanmoins que Nicolas Hulot doit rester au gouvernement : "Il a perdu une manche. Maintenant il faut prendre date pour 2030", conclut-il.
"Ce ne sont plus des couleuvres qu'il avale, mais des boas"
De son côté, l'eurodéputée EELV Michèle Rivasi, beaucoup moins tendre, conseille à Nicolas Hulot de "quitter ce gouvernement qui ne fait qu'utiliser son image tout en écornant sa crédibilité dans le domaine de l'écologie qu'il a tant aidé à rendre audible au grand public", après avoir fait le compte des "couleuvres de plus en plus grosses" avalées depuis six mois par Hulot : "Des 4 milliards d'euros donnés par l'Etat à Areva pour sauver de la faillite annoncée la filière nucléaire, à la suppression des aides au maintien de l'agriculture biologique, en passant par la prolongation d'un permis d'exploration d'hydrocarbures en Guyane, l'acceptation du CETA (accord UE / Canada), la démission sur la réglementation européenne relative aux perturbateurs endocriniens, l'appel juridictionnel émis contre un projet de centrale biomasse démesuré et menaçant la forêt méditerranéenne à Gardanne, la frilosité sur les rejets de boues rouges terrestres et maritimes d'Altéo… Et maintenant pour couronner le tout, le rétropédalage – trahison sur la sortie programmée du nucléaire."
"Le risque nucléaire n’est pas moindre que celui du réchauffement climatique"
Yannick Jadot, l'éphémère candidat EELV à la présidentielle de 2017, est encore plus sévère : Hulot, qu'il accuse de se faire "le porte-voix des lobbies", doit "s'interroger sur sa présence au gouvernement". "Ce ne sont plus des couleuvres qu'il avale, mais des boas" a-t-il taclé ce matin sur France Info, en condamnant "l'énorme faute politique" qui consiste à opposer protection du climat et sortie du nucléaire. "Le risque nucléaire n’est pas moindre que celui du réchauffement climatique : il met en jeu la survie de l’humanité et des éco-systèmes", fait-il valoir.
Reculer sur les objectifs fixés par la loi n'est sans doute pas la meilleure façon pour parvenir à réduire la part du nucléaire... Le ministre a tenu toutefois à rappeler qu’il « ne revient pas sur l’objectif de fermer les centrales à charbon en 2022 » inscrit dans le son plan climat, et que le gouvernement « programme la sortie des hydrocarbures et la fin des centrales thermiques, ce que pas beaucoup de pays ont fait ». Au passage, Nicolas Hulot en profite pour égratigner ses prédécesseurs afin d’appuyer ce changement de calendrier : « C’est facile de fixer des objectifs et de ne pas regarder si c’est faisable, ou du moins si c’est faisable sans conséquences. »
Derrière les postures politiques des uns et des autres, une chose est sûre : la France est toujours bien loin d'en avoir fini avec le nucléaire, qui fournit 75% de son électricité. Pour Pascal Canfin, cette spécificité représente une "anomalie énergétique" qui va coûter de plus en plus cher à la France, dans un monde instable qui vit sous la menace du risque terroriste. L'annonce de Nicolas Hulot, quoiqu'il en dise, au moins dans sa forme, constitue une bien mauvaise nouvelle pour la nécessaire transition énergétique que doit impérativement réussir le pays. Pour permettre l’essor des énergies renouvelables, éolien, photovoltaïque, etc., il est en effet indispensable d'engager la sortie du nucléaire. Et c'est au pouvoir politique d'envoyer aux acteurs industriels le signal correspondant.
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