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Biodiversité. L'"expulsion" du phoque You des plages girondines : une histoire à méditer

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Le phoque You devra nager dans d'autres eaux que celles du littoral girondin. Photo P. Vanni, Réserve du banc d'Arguin, B. Chaussade

Le littoral girondin ne vivra plus cet été au rythme des apparitions du jeune phoque gris, arrivé au large de nos plages en septembre 2014 et baptisé "You" par les surfeurs qui l'ont découvert : il a été "exfiltré", le 23 juillet dernier. Avec son départ, le littoral a perdu un peu de sa beauté naturelle et de sa magie. Déloger le phoque You était-il inéluctable ?

Célébrité locale devenue indésirable

Devenue une célébrité locale - uphoque-you-aimait-aller-chatouiller-ou-mordre-les_3024080_800x400.jpgne page Facebook à son nom rassemblait plus de 12.000 "like"- l'animal, semi-apprivoisé par les humains qui avaient pris l'habitude de jouer avec lui, a finalement été évacué par les spécialistes du centre rochelais Pelagis (Centre de Recherche sur les Mammifères Marins), sur décision de la préfecture de la Gironde. Sa cohabitation avec les touristes, expliquait "Sud Ouest" le 24 juillet, a été jugée impossible car, joueur, il recherchait la compagnie des humains et pouvait les mordre et les blesser involontairement. L'animal qui pèse ses 93 kilos, était aussi porteur de germes potentiellement dangereux pour l'homme.

Mauvais pour le tourisme ?

panneau phoque.jpgCertains "comportements irrespectueux" des humains envers le jeune phoque, âgé de deux ans et demi, ont pu être observés, a-t-on aussi justifié. Mais il constituait peut-être surtout et avant tout une gêne pour le tourisme de masse. Par mesure de précaution, à chacune de ses apparitions sur la plage, il fallait faire sortir les estivants de l'eau. Capturé au Gurp, à Grayan-et-l'Hôpital, dans le Médoc, le 23 juillet, par les services de Pelagis, le jeune phoque devrait être relâché au nord de la France ou en Europe du Nord, où vivent ses congénères, après avoir été "déshabitué" à l'être humain. Transféré à Brest (Finistère) par voie terrestre, il est désormais à l'isolement dans un parc de loisir, l'Océanopolis, rapportait France 3 régions, le 25 juillet. "Une fois réadapté à la vie aquatique, il sera inséré dans une colonie de phoques. Vraisemblablement sur les côtes de la Manche", écrit le site Internet de la chaîne. Pour You, la "cure de désintoxication de l'être humain" devrait durer deux mois.

Après l'ours et le loup, le phoque

Au delà de l'anecdote locale, l'histoire qui risque se reproduire, pose une fois de plus la question de fond, récurrente en France, de la difficile (impossible ?)  cohabitation de l'homme avec les animaux sauvages.

phoque,animal sauvageDepuis les années 1980, le phoque veau marin et le phoque gris qui étaient encore très courants en France au XIXème siècle, notamment en baie de Somme où l'on en comptait plusieurs centaines en 1848, reviennent dans les eaux françaises, après avoir été quasiment éradiqués à la suite d'une chasse intensive, complétée par les travaux sur le canaux de la baie qui ont détruit leur habitat. En août 2013, l'association Picardie Nature comptabilisait en baie de Somme, 392 veaux marins et 115 phoques gris. L'été constitue le pic de la population sur le site. L'hiver, elle se réduit à près de 110 veaux marins pour une vingtaine de phoques gris. Le retour naturel de ces animaux, quasi miraculeux sur nos côtes, outre qu'il ravit la population et les touristes amoureux de la nature, constitue une bonne nouvelle pour la biodiversité et pour l'équilibre de nos écosystèmes.

Le retour naturel contesté d'une espèce protégée

"Peut-on espérer qu'un jour le sauvage pourra reprendre sa place dans notre pays et avant tout, dans nos mentalités ? Ce serait une chance pour les générations futures. Une chance, mais aussi une nécessité pour l'équilibre de la planète". Pierre Athanaze

athanaze.jpgOn devrait donc dire "merci" et applaudir des deux mains. Hélas, comme l'explique Pierre Athanaze, naturaliste, forestier et ancien administrateur de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), auteur du livre "Le retour du sauvage", publié chez Buchet-Chastel, la recolonisation progressive de la baie de Somme par les phoques, "fort appréciée du grand public", a suscité une levée de bouclier de la part d'acteurs locaux, pêcheurs et chasseurs notamment. Ils ont ainsi créé en 2012, le Collectif de défense contre la prolifération des phoques et des veaux marins, qu'ils accusent d'effrayer les pêcheurs à pied et de déranger les chasseurs, en demandant l'autorisation de la destruction d'un quota de phoques gris et de veaux marins.

100.000 phoques gris en Grande-Bretagne

Une hypothèse qui n'est, hélas, pas à exclure. "L'espèce est pourtant protégée, rappelle Pierre Athanaze, mais les ministères de l'Agriculture et de l'Ecologie ont ouvert la porte à la déréglementation en autorisant un quota de 24 loups à abattre en 2013, et de 36 en 2014." La revendication est examinée par les instances administratives. "La France, serait "envahie" par quelques centaines de phoques. A se demander comment font nos voisins de Grande-Bretagne où vivent environ 50.000 veaux marins et 100.000 phoques gris...", conclut-il avec justesse.

S'habituer au retour du phoque

phoque hourtin.jpgPourtant, les Girondins devront s'habituer à la présence des phoques : une dizaine de spécimens sont à nouveau régulièrement observés jusqu'en Aquitaine, où ils étaient présents il y a 200 ans. Si le scénario de l'histoire de You se reproduit, il faudra peut-être envisager une autre réponse que l'évacuation : l'animal n'est-il pas finalement plus chez lui que les humains dans les eaux de l'Atlantique?

Chacun sa place

Si l'on veut réellement protéger le phoque, comme il se doit, il est d'abord primordial que les hommes comprennent que tout animal sauvage, aussi sympathique et non agressif soit-il, n'est pas un jouet.  Par exemple, "il faut le dissuader de monter sur une planche de surf ou lui en mettre une à disposition. Chacun doit garder sa place. C'est le gage de sa survie", expliquait à "Sud Ouest" Willy Dabin, ingénieur d'étude à Pelagis, le 13 avril 2015. Paroles de bon sens.

"Cohabiter", c'est partager un lieu de vie

Il faudrait apprendre à aimer les animaux sauvages et les admirer, tout en les respectant en tant que tels. Et ensuite, apprendre à vraiment cohabiter avec eux. Autrement dit, partager avec eux leur lieu de vie, tout en les protégeant. Cela se fait bien ailleurs, dans d'autres pays très civilisés... Une chose est sûre : les Girondins qui n'avaient pas pu voir le phoque You de leurs propres yeux, étaient heureux de savoir qu'il nageait par là et que peut-être un de ces jours, cet été, pourquoi pas, ils auraient la chance de le voir apparaître sur une plage...

On leur a volé ce petit bonheur "naturel". Un de plus.

Cathy Lafon

LIRE AUSSI

  • Les articles de "Sud Ouest" sur le phoque You : cliquer ICI

 LIRE AUSSI

  • "Le retour du sauvage", Pierre Athanaze, Buchet  Chastel, 2014, 12 €.
  • Les articles de Ma Planète sur les loups : cliquer ICI
  • Les articles de Ma Planète sur la biodiversité : cliquer ICI

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